Je me suis fait connaître grâce à ma rencontre avec Gaston Legrain, l’excellent chroniqueur d’échec de l’Action Française ; les joueurs d’échecs sont trop mordus pour tenir compte de leurs convictions politiques ou autres. Gaston Legrain était monarchiste convaincu et antisémite, mais comme il y a nombre de juifs joueurs d’échecs, il publiait – et avec éloges – les parties de tous les grands juifs : Janowski, Rubinstein, Kimsovitch, Bernstein, etc. Il m’appréciait beaucoup. Il publiait une revue qui s’appelait Les cahiers de l’échiquier français et m’avait même demandé d’y faire quelques articles.
Sentant venir l’âge de la retraite, il m’a parlé de sa succession et je lui ai proposé de lui racheter les Cahiers, ce qui m’était possible puisque c’était au moment des Forges d’Acquigny. Déjà, à cette époque, une grande partie des articles publiés étaient de moi mais signés de différents noms : Florens, Rex… C’est alors que j’ai reçu une lettre d’un abonné, dont je n’avais pas encore remarqué le nom : Raymond Roussel.
J’ai commencé à faire des livres et mon premier livre d’échecs a été L’Ouverture française, assez caractéristique de ma manière de prendre les choses. Il y a aujourd’hui une quantité décourageante de livres sur les ouvertures. Dans la première partie, je donnais un certain nombre de principes, et, déjà, des principes de départage quand les principes se heurtaient les uns aux autres. Dans la seconde partie, je cédais à mon goût de l’érudition et me livrais à une compilation exhaustive mais pondérée de toutes les variantes à l’ouverture e4-e6 de toutes les parties qui s’étaient jouées depuis le XVIIe siècle et dont j’avais retrouvé la trace à la Nationale. Ce livre a eu beaucoup de succès mais les gens y ont vu surtout la partie analytique qui a même stupéfié Eugène Soskoborovski, russe blanc qui vivait des échecs à Paris – russe blanc qui aimait cependant trop la Russie pour être antisoviétique. Dans un article élogieux qu’il me consacrait, il disait en gros : j’ai rencontré Le Lionnais, je croyais qu’il avait au moins 80 ans, il n’en a que 33. Tout ce que j’écrivais suscitait ce genre de réactions : on me croyait plus âgé, simplement parce que je vais vite. Dans les pages de publicité qui étaient intégrées au livre, j’annonçais une trentaine d’autres livres sur d’autres débuts, livres que je n’ai pas écrits mais dont je possède encore les notes.
Juste avant la guerre, j’ai publié Les Prix de beauté aux échecs, qui ont eu un succès encore plus grand et plus mérité que L’Ouverture. Ça m’a mis en relation avec des gens que j’admirais beaucoup et dont je me suis rendu compte qu’ils admiraient ce que je faisais au moins autant. En particulier Dawson, qui était un ingénieur chimiste, mathématicien et père des échecs féeriques, qui avait à mon avis un certain génie. Il a écrit alors des choses tout à fait élogieuses sur mes Prix de beauté. Ce n’est pas tant l’éloge qui m’intéresse que le fait qu’il ait vu où était l’intérêt du livre. Trente-cinq ans après sa parution, ce livre reste encore tout à fait valable. Je ne lui ai apporté que peu de modifications, mais j’aimerais faire un livre qui s’intitulerait La nouvelle beauté aux échecs, dans lequel je dirais qu’au fond les plus belles parties ne sont pas celles qui ont obtenu des prix de beauté, de même que les plus grands découvreurs ne font pas forcément partie de l’Académie des Sciences. Dans ces Prix de beauté, il y avait très peu de notes analytiques, psychologiques, générales ; mais la première partie était une étude de la beauté aux échecs qui correspondait au fond à ce que j’ai fait dans tous les domaines. Je proposais une esthétique échiquéenne pour la partie, dans laquelle je donnais sept règles : un règle de correction, une règle de brio, une règle de difficulté, une règle de vivacité, etc. Je donnais en outre quelques considérations sur le jeu d’échecs et les conceptions de la vie et de l’économie : je disais : on cherche toujours à déterminer quel est le plus fort, mais pourquoi ne pas classer plutôt les parties de la plus belle à la moins belle, ou de la plus intéressante à la moins intéressante ? Le plus fort est quelquefois celui qui est le plus vachard, ce n’est pas nécessairement celui qui joue les plus belles parties. Celui qui joue les plus belles parties est souvent trop pris par la beauté pour sortir premier.
FLL utilise ici la notation condensée, dans laquelle « e4-e6 » signifie que les blancs jouent e2-e4, à quoi les noirs répondent par e7-e6. Merci à Gilles Esposito-Farese pour cette précision. MA
Sentant venir l’âge de la retraite, il m’a parlé de sa succession et je lui ai proposé de lui racheter les Cahiers, ce qui m’était possible puisque c’était au moment des Forges d’Acquigny. Déjà, à cette époque, une grande partie des articles publiés étaient de moi mais signés de différents noms : Florens, Rex… C’est alors que j’ai reçu une lettre d’un abonné, dont je n’avais pas encore remarqué le nom : Raymond Roussel.
J’ai commencé à faire des livres et mon premier livre d’échecs a été L’Ouverture française, assez caractéristique de ma manière de prendre les choses. Il y a aujourd’hui une quantité décourageante de livres sur les ouvertures. Dans la première partie, je donnais un certain nombre de principes, et, déjà, des principes de départage quand les principes se heurtaient les uns aux autres. Dans la seconde partie, je cédais à mon goût de l’érudition et me livrais à une compilation exhaustive mais pondérée de toutes les variantes à l’ouverture e4-e6 de toutes les parties qui s’étaient jouées depuis le XVIIe siècle et dont j’avais retrouvé la trace à la Nationale. Ce livre a eu beaucoup de succès mais les gens y ont vu surtout la partie analytique qui a même stupéfié Eugène Soskoborovski, russe blanc qui vivait des échecs à Paris – russe blanc qui aimait cependant trop la Russie pour être antisoviétique. Dans un article élogieux qu’il me consacrait, il disait en gros : j’ai rencontré Le Lionnais, je croyais qu’il avait au moins 80 ans, il n’en a que 33. Tout ce que j’écrivais suscitait ce genre de réactions : on me croyait plus âgé, simplement parce que je vais vite. Dans les pages de publicité qui étaient intégrées au livre, j’annonçais une trentaine d’autres livres sur d’autres débuts, livres que je n’ai pas écrits mais dont je possède encore les notes.
Juste avant la guerre, j’ai publié Les Prix de beauté aux échecs, qui ont eu un succès encore plus grand et plus mérité que L’Ouverture. Ça m’a mis en relation avec des gens que j’admirais beaucoup et dont je me suis rendu compte qu’ils admiraient ce que je faisais au moins autant. En particulier Dawson, qui était un ingénieur chimiste, mathématicien et père des échecs féeriques, qui avait à mon avis un certain génie. Il a écrit alors des choses tout à fait élogieuses sur mes Prix de beauté. Ce n’est pas tant l’éloge qui m’intéresse que le fait qu’il ait vu où était l’intérêt du livre. Trente-cinq ans après sa parution, ce livre reste encore tout à fait valable. Je ne lui ai apporté que peu de modifications, mais j’aimerais faire un livre qui s’intitulerait La nouvelle beauté aux échecs, dans lequel je dirais qu’au fond les plus belles parties ne sont pas celles qui ont obtenu des prix de beauté, de même que les plus grands découvreurs ne font pas forcément partie de l’Académie des Sciences. Dans ces Prix de beauté, il y avait très peu de notes analytiques, psychologiques, générales ; mais la première partie était une étude de la beauté aux échecs qui correspondait au fond à ce que j’ai fait dans tous les domaines. Je proposais une esthétique échiquéenne pour la partie, dans laquelle je donnais sept règles : un règle de correction, une règle de brio, une règle de difficulté, une règle de vivacité, etc. Je donnais en outre quelques considérations sur le jeu d’échecs et les conceptions de la vie et de l’économie : je disais : on cherche toujours à déterminer quel est le plus fort, mais pourquoi ne pas classer plutôt les parties de la plus belle à la moins belle, ou de la plus intéressante à la moins intéressante ? Le plus fort est quelquefois celui qui est le plus vachard, ce n’est pas nécessairement celui qui joue les plus belles parties. Celui qui joue les plus belles parties est souvent trop pris par la beauté pour sortir premier.
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FLL utilise ici la notation condensée, dans laquelle « e4-e6 » signifie que les blancs jouent e2-e4, à quoi les noirs répondent par e7-e6. Merci à Gilles Esposito-Farese pour cette précision. MA