Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo

Le disparate [ce titre se trouve dans le manuscrit]

Je perds des branches dans toutes les directions du disparate ; dans les capacités affectives, physiques, culturelles, etc. De sorte que ce livre sera en quelque sorte la confession ou le récit d’un disparate qui ne l’est plus assez pour montrer comment il l’était. Je suis un peu comme quelqu’un qui est en train de devenir aveugle et qui ne peut plus très bien parler des couleurs qu’il a vues. C’est un certain disparate raconté par un disparate diminué.

J. M. L. L. Je n’en suis pas tellement sûr..

F. L. L. Oh, si !

J. M. L. L. La façon que tu as d’en parler revient à l’approfondir. J’imagine que lorsque tu pratiquais ton disparate dans toute son extension, tu n’avais pas le temps d’y réfléchir véritablement et il aurait gagné en intensité.

F. L. L. Oui, c’est juste, mais ça n’empêche pas la diminution. Dans le cas des échecs : je n’ai pas essayé de jouer une partie contre les grands joueurs avec lesquels je jouais auparavant, mais je sais que je perdrais. La conscience de certaines choses n’est pas équivalente à la conservation des capacités ! Par contre, en effet, les réticences que j’avais au début pour faire ce livre se sont évanouies ; j’ai pris conscience il n’y a pas très longtemps que la préparation de ce livre m’aura apporté quelque chose.

D’abord, ça m’a donné un certain goût à m’analyser. Le fond de ma formule personnelle, c’est l’action. Pas forcément l’action physique – encore qu’elle ne m’ait pas déplu au moment où j’ai eu la possibilité de l’exercer – mais lorsque je me trouve devant un problème culturel, affectif ou autre, j’agis. Je me suis très peu analysé, je n’étais pas du tout l’homme à journal intime, par exemple. En faisant ce livre, j’ai pris un certain goût à m’analyser et j’ai pris conscience que j’étais plus intéressant que je le croyais, en quelque sorte ; j’ai pris plus d’intérêt à moi-même – comme cobaye, ça ne m’a pas rendu narcissique.