Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo

J. M. Vous pensez que Franck était, par anticipation, un adepte de l’OUMUPO ?


F. L. L. Beaucoup de musiciens. Il est beaucoup plus facile de faire de l’OUMUPO que de l’OULIPO, c’est même une des raisons pour lesquelles je me suis beaucoup plus lancé sur l’OULIPO. La musique est un peu par nature oumupienne. Par exemple : la littérature par ordinateur… c’est intéressant à la limite, mais on ne peut pas faire quelque chose de vraiment sensationnel ; la peinture par ordinateur, un peu mieux, du moins, la peinture décorative, même abstraite ; avec la musique, c’est beaucoup plus facile. On peut même faire de la bonne musique, pas encore les grands échelons, mais on peut faire, à mon avis de la très bonne musique par ordinateur. On y arrivera surtout de mieux en mieux. C’est un problème qui pourra être résolu. On ne fera pas aussi bien que ce qui a déjà été fait, que Bach, mais quelque chose qui puisse être original et cependant accepté par les hommes.


J. M. Est-ce que vous pensez que cette plus grande facilité du fonctionnement des structures pour la musique est due à ce que la distinction entre la forme et le fond y est moins nette que dans la littérature ?


F. L. L. Certainement ! La littérature travaille sur des mots ; elle a donc une sémantique, un contenu culturel, intellectuel, signifiant, alors qu’en musique on a affaire à une forme qui a une valeur émotive, et cela suffit. La peinture se situe un peu entre les deux : les couleurs correspondent aux notes en musique, les formes – femmes, hommes, maisons, arbres, etc. - correspondent aux mots dans la littérature.


Autrement dit, la peinture figurative se rapproche de la littérature et la peinture abstraite de la musique. Ça me parait assez évident de combiner des notes avec un ordinateur de manière à produire des émotions, oui, ça me parait très possible, tandis que combiner des mots avec un ordinateur de manière à faire quelque chose qui soit cohérent sémantiquement, c’est beaucoup plus difficile. On pourra s’en rapprocher dans la direction de la littérature expérimentale sans verbe, substantif, adjectif par exemple. Je voudrais me servir de l’ordinateur, comme aide à la création : je voudrais faire un classement statistique de tous les mots de la langue française qui ne soient ni verbe, ni substantif, ni adjectif, et, par des procédés statistiques, arriver à distinguer ceux qui sont plus ou moins chargés d’émotion ou plus ou moins secs. A partir de ce moment-là, je pourrais, à la manière d’un compositeur de musique, décider d’une œuvre, non pas en disant : j’y mets telle ou telle signification, mais j’y mets tel ou tel degré d’émotion, je pourrais faire varier l’émotion avec des mots. De cette manière-là, en effet, Je crois qu’on arrivera peut-être quelque chose.