Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo



J. H. Comment avez-vous accepté la mise en musique de votre sonnet, vous qui en avez tant horreur !

F. L. L. Oui. En gros, je condamne la musique chantée à des niveaux différents. C’est surtout l’opéra que je condamne, qui me paraît une des grandes erreurs de la civilisation occidentale – alors que l’Occident avait le motet, une chose bien qui, à mon avis, n’était pas épuisée. Ce qui m’irrite le plus, c’est la combinaison, l’association étroite d’une syllabe et d’une note, cette syllabe étant un morceau de mot qui veut dire quelque chose. Pour moi c’est un très mauvais disparate, un disparate négatif, qui me prive de quelque chose. Par contre, j’accepte très bien, aussi bien que la poésie seule ou la musique seule, c’est la chanson parlée avec des instruments à côté, guitare ou ce qu’on voudra. Tout ce que je demande c’est que les paroles me plaisent et que la musique ne soit pas trop faible.

J. B. Tel que vous le décrivez là, il semble que ce soit le principe même du chant qui est en cause, ce qui pose un problème parce qu’on a souvent fait dériver la poésie du chant.

F. L. L. Oui, je crois que c’est lorsqu’elle a fini par s’en dégager qu’elle a atteint un niveau plus élevé.

J. B. Et la musique liturgique, où les paroles sont, finalement, toujours les mêmes, donc présupposées, à la limite, inexistantes ?

F. L. L. Oui, je l’accepte. Je regrette simplement que l’on déguise cela avec des mots. Il y a une sorte d’hypocrisie, j’aimerais mieux que ça ne soit pas du tout liturgique, qu’il n’y ait pas de mots utilisés comme ça. Autrement dit, le moment où je l’accepte est le moment où il n’y a vraiment plus de poésie. Oui, pourquoi pas ; comme au moment où il n’y a plus de musique.

Quand l’association des deux est tellement amenuisée et que l’un des deux disparaît, je veux bien ! Mais prétendre donner un discours sémantiquement compréhensible et une musique expressivement touchante ou sensible me parait impossible, en tous cas, ce n’est jamais réussi.

J. B. Il y a tout de même avec l’opéra une tentative, réussie ou ratée – d’après vous, ratée – d’établir une correspondance, et au moins à ce titre, ça mériterait quelque intérêt. Vous semblez rejeter à priori la possibilité de toute correspondance, alors que vous êtes en général intéressé à tout système de correspondances.

F. L. L. C’est comme le disparate : il y a le bon, avec deux niveaux, le disparate créateur et le disparate de jouissance, et puis le mauvais, qui nous empêche de nous consacrer à quelque chose de valable.

J. M. Vous ne vous contentez pas de constater un échec, dans le cas de l’opéra vous dites : ce n’est pas possible.