Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo

[BANDE VIII, face 2]


F. L. L. : Je connaissais un peu Tazieff au moment de l’histoire du gouffre de la pierre Saint-Martin, je connaissais aussi, séparément et sans que l’un sache que je connaissais l’autre, Loubens, qui est mort ensuite, au cours d’une autre exploration du goufre de la pierre Saint-Martin. Ils étaient très différents, Loubens beaucoup plus fruste, moins cultivé que Tazieff, plus naturel, d’une certaine manière. Il leur est arrivé une aventure que tous d’eux m’ont racontée :

À un moment donné, étant allé plus loin qu’on n’était jamais allé dans l’exploration, ils sont arrivés à un puits. Ils étaient dans une salle dont on ne voyait pas le bout. Ils n’avaient que des petites lampes et ne savaient pas si elle allait jusqu’à plus l’infini ou si elle s’arrêtait avant. Ils avançaient en faisant attention. Pour ne pas se perdre, ils avaient emporté des papiers fluorescents et, comme le Petit Poucet, ils en semaient un de temps en temps – on a beaucoup perfectionné la méthode depuis. Ils arrivent au bord de ce puits et décident que Loubens va descendre tandis que Tazieff l’attendra sur le bord en lui parlant. Il descend en effet de pas mal de mètres, disons, une vingtaine. Tazieff l’attend et l’appelle de temps en temps. Au bout d’un moment, plus de réponse. De son côté, Loubens se trouvait sur une autre salle en contrebas, encore plus noire et de dimensions également inconnues. Quand il décide de revenir, il braque sa lampe électrique sur les parois, mais ne voit aucun papier : ils s’étaient recroquevillés. Il était complètement perdu. Il veut se diriger au son, il appelle, mais n’entend rien. Tazieff n’entendait rien, Loubens n’entendait rien. Un moment tragique. Tazieff se demandait quoi faire : ou bien descendre le chercher, ou bien aller chercher de l’aide… Il était encore en train d’hésiter quand il a entendu appeler d’une voix lointaine, ils se sont retrouvés et, finalement, Loubens est ressorti.

Chacun m’a raconté cette histoire séparément, leurs récits coïncident parfaitement. L’un ou l’autre m’a dit qu’en se retrouvant, ils sont tombés dans les bras l’un de l’autre en pleurant.

C’est à Marseille, lorsque j’étais directeur d’une usine de boîtes en rodoïd, que j’ai rencontré Gaston Berger. J’avais repris quelques contacts universitaires, dont certains, au moins, étaient intéressants. Il était philosophe et fabricant…