Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo

Dans mes lectures historiques, ce qui m’a le plus intéressé, ce sont les Chroniques de Froissart. C’est un auteur que je relis de temps en temps. Est-ce de la littérature, est-ce de l’Histoire ? En tout cas, c’est une Histoire assez douteuse parce que partisane, mais ça lui donne de l’intérêt.


J’ai lu à peu près les grands chroniqueurs ; en traduction, quand c’est Villehardouin parce qu’il écrit vraiment un Français impossible – et puis, il n’est pas très drôle, c’est vraiment la justification de la IVème croisade par des procédés très mensongers ; j’ai lu aussi Commynes, Machiavel, c’est très intéressant mais très intellectuel – ce n’est pas le côté intellectuel qui m’intéresse dans ces choses-là –; Joinville….



Mais pour moi, les grands délices [sic], c’est Froissart, je le préfère à la plupart de nos écrivains contemporains. Il est plus fort que Flaubert pour moi.


Quand je lis Froissart, j’entends ce qui se passe, je vois les couleurs, je mange les plats… c’est pour moi une fête des sens. L’entrée d’Isabeau de Bavière à Paris par exemple, c’est absolument formidable, les grandes compagnies… Et puis il y a tout ce qu’il faut pour faire l’équivalent du roman populaire, nos gangsters actuels sont loin d’être aussi forts que les grandes compagnies qui se donnaient beaucoup plus de liberté que maintenant.



Et l’histoire de Gaston Phébus, le comte de Foix qui aimait tant son petit garçon qu’il l’a tué dans un moment d’irritation et de colère. Cet enfant avait versé dans le verre de son père une poudre qui était un poison, il ne le savait pas, c’étaient des adversaires qui s’étaient servis d’un gosse. Le père était tellement furieux qu’il l’a fait mettre en prison. Un jour, allant le voir pour lui faire avouer je ne sais pas quoi, il a fini par le tuer en appuyant un peu trop la pointe d’un couteau sur la gorge du garçonnet. C’est décrit d’une manière extraordinaire, puis le désespoir du père ensuite…



Froissart est plein d’histoires comme ça. Je ne vois pas pourquoi on lirait des romans-feuilletons actuels, il n’y a qu’à lire Froissart. J’en ai lu d’ailleurs énormément à mes enfants [sic]. Il y a des histoires plus fortes que celle des soucoupes volantes ! L’histoire du Sire de Coarasse est une histoire extraordinaire : il avait des visites de poltergeists. On ne le croyait pas, finalement on a dû constater que les fantômes venaient bien, c’est une histoire extraordinaire qui se passait au XIVème siècle dans les Pyrénées où Froissart a passé beaucoup de temps avant d’aller en Angleterre. Je vous recommande les chroniques de Froissart, c’est pour moi un des meilleurs écrivains de la langue française – vous savez déjà que je classe les écrivains de la langue française un peu autrement que les autres : je considère qu’il est très injuste de mettre dans le deuxième secteur un écrivain comme Gaston Leroux que je mets plutôt au-dessus de Corneille et à côté de Froissart, et ce n’est pris du tout par goût du paradoxe. Il me semble qu’avec un peu de bon sens, tout le monde devrait être d’accord avec moi.



J’ai lu tellement que je ne vais pas faire la liste de mes lectures ni de mes admirations qui se sont succédées, qui se sont un peu niées. Quelques-uns sont restés, c’est vraiment le dessus du panier. Au collège, j’avais toujours une certaine avance sur la plupart de mes camarades, j’étais assez précoce. En classe de seconde ou de première, j’avais traversé toute l’époque romantique que j’avais beaucoup admirée, j’admirais énormément Victor Hugo, bien sûr ; après, je m’en suis écarté avec un snobisme inconscient, estimant que c’était très dépassé, puis j’y suis revenu – surtout Victor Hugo de la fin, je n’admire pas tellement Victor Hugo de la jeunesse et de la maturité. Avant mon baccalauréat, j’avais découvert des écrivains que je continue à admirer maintenant : j’avais découvert Victor Segalen, j’étais plein d’admiration pour les Immémoriaux, Stèles, je n’imaginais pas à ce moment-là qu’on puisse faire mieux. Marcel Schwob aussi, il était pour moi un écrivain extrêmement important ; Remy de Gourmont était ce qu’il y avait de plus fin ; Reverdy aussi, avec qui j’ai eu une toute petite correspondance. Ça m’amène à Max Jacob, mais c’est peut-être le moment de parler de Roussel dont j’ai connu l’existence beaucoup plus tôt.