Michèle Audin

- Ce qu’aucun plan ne dit, c’est si l’on entend le bruit des avions qui décollent ou atterrissent, ou alors si, puisque, les plans le disent, l’aéroport est si proche du centre, on les entend, mais d’où on les entend le plus, d’où ils arrivent, ceci dépend du temps qu’il fait.
- Les plans ne distinguent pas, entre les tours clinquantes et les édifices mégalomaniaques construits pour servir de sièges à des banques ou de grands hôtels lors de la splendeur de l’Europe au Portugal, entre l’urbanisme pombalien (est-ce le bon adjectif ?) et l’architecture salazariste.
- Un plan peut indiquer des lieux où l’on peut écouter du fado, mais comment pourrait-il montrer la douleur, trop grande pour un si petit pays, a-t-on dit, qui étreignit Lisbonne à la mort d’Amalia Rodrigues, son image sur tous les panneaux publicitaires dans la ville, dont Fiordiligi et Guglielmo se souviennent.
- C’est un plan vraiment très précis qu’il faudrait dessiner pour qu’y apparaisse le petit fragment de Venise que l’on trouve à Lisbonne, une petite salle, presque un recoin, dans le musée de la Fundação Gulbenkian, une collection de petits tableaux de Guardi. Même derrière Lisbonne, il y a Venise, ferait remarquer Fiordiligi. Et derrière Venise ?
- Les plans ne savent pas grand chose des fleurs, sauf lorsque celles-ci donnent leur nom à une rue, à une place, la praça das Flores, sans parler de la rua do Alecrim, s’il n’est pas besoin de traduire flores, signalons qu’alecrim veut dire romarin, quant aux oeillets rouges, petits clous, cravinhos, ils n’ont donné leur nom à aucune rue de Lisbonne.
- Le musée des azulejos figure sur les plans, on peut même imaginer qu’un plan utilise, comme illustration, telle ou telle partie du grand panorama de Lisbonne, que l’on peut y admirer, mais aucun plan ne pourra montrer cette image de la ville avant le tremblement de terre, avec ses monuments, ses bateaux, ses paysans au travail, ses marchés et ses passants, une image qui est à peu près le contraire d’un plan.
- Les plans n’indiquent pas les panneaux de céramique racontant les miracles de Saint Antoine, c’est d’ailleurs miracle qu’ils existent encore, ou celui qui montre Saint François d’Assise recevant les stigmates et qui désormais traîne après lui le christ comme un cerf-volant. Quant à celui qui représente Santo Marçal, qui est supposé nous protéger contre les incendies, même les visiteurs qui connaissent son existence, même munis d’un plan, ont parfois du mal à retrouver le passage dans lequel il se cache.
- Les plans indiquent la « station maritime » de Cais do Sodré où, en correspondance avec le métro (et pour le prix d’un ticket de métro) on peut prendre un cacilheiro, ainsi qu’on appelle les bateaux qui traversent le fleuve vers (Almada et plus précisément) Cacilhas, la plupart des guides signalent, sur la rive de Cacilhas, les restaurants, mais aucun plan, aucun guide ne peut décrire aucun des couchers de soleil sur le Tage, le pont, un panorama de Lisbonne et de ses collines, aucun plan ne peut évoquer la sensation sur les joues du vent, dans le cacilheiro du retour.
- Ce que les plans ont du mal à dire, c’est d’où l’on voit le pont du 25 avril, les points de vue pourtant ne manquent pas, ni d’où l’on peut faire de belles photos de ce pont, les points de vue pourtant ne manquent pas non plus, et il est facile d’utiliser les canons du château, les mouettes sur les colonnes du Terreiro do Paço, les antennes de télévision sous le miradouro de Santa Catarina, les petits immeubles de la place du Principe real ou les cyprès du cimetière des Prazeres comme premiers plans de telles photographies – pour ceux qui aiment les photos de ponts.
- Que savent les plans de l’histoire de la ville ? Comment un plan peut-il apprendre à ses lecteurs (spectateurs ?) si les croisés arrêtés sur l’estuaire du Tage ont aidé à vaincre les Arabes et à prendre Lisbonne ? Ou comment tous les repas que l’on avait mis à cuire avant de partir à la messe ont alimenté le grand incendie qui a suivi le célèbre tremblement de terre ? Comment une chanson (comment un plan pourrait-il parler d’une chanson ?) diffusée à la radio fut le signal d’une révolution ? Comment la ville se couvrit d’oeillets rouges, le plan n’en sait rien non plus, les  oeillets sont chose saisonnière.
29 septembre 2014
(à suivre)

PS. Il y a une légende de l’illustration dans le post-scriptum de la page images.