Michèle Audin

Tiens ! un adjectif. Mais ce n’est pas le premier. Secret l’était aussi (plus secrètement). Stéréographique est un adjectif qualificatif, certes, mais par fonction surtout épithète (diriez vous « cette chaise paraît stéréographique » ou « l’air semble stéréographique, aujourd’hui »?) et même, surtout épithète du seul mot projection (diriez-vous « passe-moi le sel stéréographique »?). Pourtant l’étymologie donne « représentation du volume ». Car en effet, stéréo veut dire volume, comme dans stère, mais apprend-on encore ce qu’est un stère ? Un mètre-cube, mais seulement pour du bois, ou comme dans stéréophonie, où le son emplit l’espace, le volume de l’espace, mais qu’est-ce que c’est que cette digression, ce qui est très général, le volume, pas la digression, alors que stéréographique a un sens très précis.

Ici il serait nécessaire, urgent, que les lecteurs ouvrent un atlas, un atlas officiel, et qu’ils y cherchent, permettez-moi de passer à la deuxième personne, que vous y cherchiez une carte de l’Antarctique. J’en ai déjà mentionné une (et j’en ai mis une image), je la décris et je décris du même coup (de confiance) celle que vous auriez sous les yeux si vous m’aviez écoutée, permettez-moi aussi de passer à l’indicatif, celle que avez sous les yeux car vous m’avez écoutée.

Certainement, au centre de la page, vous voyez le pôle sud, un point, par lequel passe un faisceau de lignes droites (concourantes, donc), chacune faisant avec ses deux plus proches voisines un angle de 10°. Certainement sont aussi dessinés des cercles concentriques (et dont le centre (commun) est le pôle sud). Peut-être le plus petit porte-t-il l’indication 80° et le suivant, dont une partie déjà passe sur la banquise plutôt que sur le continent (antarctique) proprement dit, 70°. Le suivant, et celui-là, à coup sûr, vous l’avez sous les yeux, peut-être en pointillés, c’est le cercle polaire (antarctique) dont vous savez certainement que la latitude est environ 67° = 90° - 23° (sud). Encore un autre peut-être, plus grand, complètement dans la mer libre, correspondant à 60°. Au-delà, la carte montre (ou pourrait montrer) le Cap Horn et la Terre de Feu avec leur kyrielle de petites îles (peut-être le vôtre montre-t-il l’île W, ce n’est pas le cas du mien) et, beaucoup plus loin (et précisément à 100° d’écart), le sud de la Nouvelle Zélande.

Les lignes droites sont la représentation des méridiens, les cercles concentriques celle des parallèles. Diamètres et circonférences se coupent à angle droit – comme méridiens et parallèles sur la Terre. En réalité la projection stéréographique conserve tous les angles, elle est conforme. Dans une authentique projection stéréographique, les parallèles seraient de plus en plus écartés. Ce n’est peut-être pas le cas dans l’atlas que vous regardez – ce n’est pas le cas dans celui que Fiordiligi a ouvert et contemple – les nuances de blanc sale pour la glace qui recouvre ce continent, de bleu et de vert pour la mer qui l’entoure – pour cette carte la projection a été modifiée.

Pour faire une vraie projection stéréographique :

- étalez la feuille de papier sur laquelle vous allez dessiner la carte sur un plan de travail horizontal,
- posez votre Terre sur la feuille de papier
- si c’est un voisinage de Venise que vous voulez cartographier, faites en sorte (en faisant rouler la Terre sur la feuille de papier) que Venise se trouve exactement au point de contact du papier et de la Terre
- pour des raisons pédagogiques et de clarté, nous remplacerons Venise par le pôle sud : nous dessinons donc une carte de l’Antarctique.
- Ainsi le pôle nord est en haut.
- Le pôle sud ayant été marqué, choisissez un autre point, Dumont d’Urville, par exemple,
- tracez (moralement) la droite joignant le pôle nord à Dumont d’Urville (par deux points passe une droite et une seule)
- cette droite coupe le papier en un point qui sera le Dumont d’Urville de la carte et que vous marquez.


Ainsi vous aurez dessiné votre carte. Vous avez choisi Dumont d’Urville parce que je vous l’ai suggéré, mais rien ne vous empêchait de vouloir marquer Venise, sur votre carte. Il aurait suffi de tracer la droite joignant le pôle nord à Venise, le point d’intersection serait très loin du pôle sud et de Dumont d’Urville, mais il serait sur le papier, si celui-ci était assez grand. Moscou irait encore plus loin… De plus en plus loin, mais seul le pôle nord ne trouverait pas sa place sur cette carte (pour qu’il passe une unique droite, il faut qu’il y ait vraiment deux points) ou alors, infiniment loin. Vous comprenez que les méridiens (cercles passant par les deux pôles) deviennent les droites passant par le pôle sud et que les parallèles deviennent (ou restent) des cercles de centre le pôle sud. De plus en plus grands. Le tropique du Cancer plus grand que l’équateur, le parallèle de Venise encore plus grand, celui de Moscou immense, le cercle polaire (arctique) encore plus… Bref, la projection stéréographique, c’est très bien pour le voisinage du point concerné, mais ça déforme énormément le reste.

22 mars 2015
(à suivre)

$\Rightarrow$  atlas, conforme, méridien, parallèle, projection, secret

PS. Il y a une légende de l’illustration dans le post-scriptum de la page images.