Michèle Audin

Il n’est pas question ici d’ordres que l’on donne, auxquels on obéit, ni même de l’ordre du monde, mais de l’ordre dans lequel les choses se présentent.

Du rêve d’écrire un roman par ordre alphabétique.

Qui, arrivé comme celui-ci à la lettre o, parle  d’une oasis où les héros se seraient trouvés et aimés, d’obélisques qui seraient, ou ne seraient pas, des métaphores, d’objets ramenés de voyages qui leur servirait à se souvenir de la façon particulière qu’ils ont eue de s’aimer à tel ou tel endroit, des obscénités qu’il leur arriverait d’échanger en riant sous la couette, l’obscur objet du désir, un cliché, serait évité mais pas l’obscurité, ni les lampes rallumées pour mieux jouir de l’observation de l’aimé, de l’obsolescence de la jalousie et de l’obstacle qu’elle aurait cessé d’être, de l’obstination qu’ils mettraient à s’aimer, des occasions qu’ils auraient eues de choisir à nouveau de continuer à s’aimer, de l’occiput, une partie de sa tête à lui qu’elle aimerait caresser, de l’océan qu’elle lui semblerait parfois être, des octogénaires qu’ils deviendraient peut-être un jour et de la forme que prendrait alors leur amour, d’odes que l’un ou l’autre composerait, dirait, des odeurs de leurs corps, des brèves odyssées qui les sépareraient parfois, des oeillets rouges que tous deux aimeraient, d’oenologie peut-être car tous deux aimeraient le vin et s’amuseraient d’en parler dans un langage pédant, des petites choses qu’ils s’offriraient, des ogives gothiques de cathédrales qu’ils auraient visitées et de l’utilisation de ce mot parmi les métaphores de leur amour, des oignons qu’ils utiliseraient dans les plats qu’ils confectionneraient dans la connivence et le bonheur de se trouver ensemble dans leur cuisine, des oliveraies dont ensemble ils auraient goûté la présence sempiternelle, de l’olivier duquel ils se souviendraient qu’Ulysse avait fabriqué le lit dans lequel Pénélope et lui dormaient, de son ventre ombiliqué, de l’ombre ;

oui, le roman par ordre alphabétique s’arrête un peu sur l’ombre, sur les omelettes à l’oseille des samedis, les omissions, car qui peut tout dire, les omoplates qui donnent forme aux épaules auxquelles on peut se tenir, s’accrocher, de l’onctuosité et des ondulations de leurs corps, sur les ongles, sur l’onirisme car leurs rêves feraient partie de leur histoire d’amour, sur les onomatopées, l’onyx un jour où l’un d’eux lirait à l’autre un poème dont ce mot formerait l’une des rimes ;

le roman évoque le onzième arrondissement d’une ville où ils aimeraient se promener, l’opalescence de la lune, les opéras diffusés par la radio, qu’ils écouteraient, ensemble, serrés l’un contre l’autre sur un canapé, les opinels qu’ils sortiraient des sacs au cours de promenades en montagne, l’opoponax non loin de l’olivier, leur optimisme, malgré les orages, le peu d’oralité de leur amour, les oranges qu’ils se partagent pour les manger, l’ordinaire, car leur histoire serait ordinaire, ses oreilles à lui, et les caresses, ses oreilles à elle, et les caresses, les oreillers, et leurs organes à qui il est difficile de vraiment penser en ces termes, et les orgasmes que ces organes provoquent, organisent, mais sans doute pas en ces termes non plus, l’orgueil, l’orient désert, les orifices, l’origan qu’ils ajouteraient aux pommes de terre, et l’origine du monde ;

le roman détaille l’orthographe des mots de leur amour, l’oseille dans les omelettes des samedis, l’osmose, l’absence d’ostentation dans l’expression de leurs sentiments, l’oubli  surtout, car tout s’oubliera, l’ouverture, mais le roman laisse ce mot dans le vague, il raconte leur ouvrage, car leur vie serait faite de travail, l’ovale de leurs visage, l’oxygène et l’ozone…
15 décembre 2014
(à suivre)

PS. Il y a une légende de l’illustration dans le post-scriptum de la page images.