L’Académie des sciences et la Commune de Paris Michèle Audin

Michèle Audin

Le malheureux Newcomb, légèrement mécontent, nerveux, le mémoire-note laissé; moi, narratrice ; Lissagaray menacé, néanmoins libre, magnifique nouvelliste ! La mémoire, non linéaire mais nébuleuse, largement morcelée, naturellement locale. Mais nécessaire. Lumière, mathématiques, nouvelle, lâche meurtre national, littérature, météorologie, nature, lemmes, massacres : nos légendes, mais nos limites. Muets, nous laisserions multiplier naïvetés, lâchetés, mensonges ? Notre livre, mieux notre lutte, mêlera nombres, lettres, manuscrits, notices, liberté, méthodes neuves, lumineuses, modernes, novatrices. Ligne, magique notion !

Qui suis-je, moi ? Qui suis-je, pour pouvoir raconter cette histoire ? Parler en même temps, presque d’une même phrase, de Prosper-Olivier Lissagaray et de Simon Newcomb ? Du journaliste, historien de la Commune, communard lui-même, et de l’astronome américain fuyant Paris ?

À nouveau assiégé, muré, Paris privé de gaz s’éclairait à nouveau au pétrole. Comment la grande salle des séances était-elle éclairée ? Les grandes fenêtres ne pouvaient suffire : en hiver, lorsque se terminaient les réunions du comité secret, ne faisait-il pas nuit ? Dix ans plus tôt, ces messieurs s’éclairaient à la bougie, mais faut-il imaginer de petites chandelles sur des tables de travail ?  Y avait-il des lustres ? Il y a toujours des lustres, dit notre guide moderne. Faut-il ajouter que l’un de nos académiciens, Chevreul, avait considérablement amélioré les bougies ? Que c’est lui qui avait eu l’idée d’utiliser la stéarine, qui augmente le point de fusion de la bougie ? Serait-il raisonnable d’ajouter que les bougies ont été peu améliorées depuis ? Sait-on que, trente ans plus tard, la fée électricité avait fait son entrée dans la grande salle des séances ? Mais en 1871 ?

Paris assiégé, Paris muré, la ligne d’Orléans était interceptée à Juvisy, mais on avait établi un service de bateaux de Saint-Denis à Chatou, qui permettait d’atteindre Versailles. Les ateliers que leurs propriétaires avaient abandonnés étaient réquisitionnés. De toute façon, c’était le printemps. De violents orages avec une nuée de grêlons s’étaient abattus sur Paris le samedi après-midi, la foudre était tombée sur une maison du boulevard Saint-Michel. Pluie et vent ce lundi. La foire aux pains d’épices se tenait à la barrière du Trône, pendant qu’on se battait, à l’autre bout d’un diamètre, à la barrière de l’Étoile. La foire aux jambons et à la ferraille s’était tenue, elle aussi, dix jours plus tôt, à la Bastille, sur le boulevard Richard-Lenoir les mardi, mercredi et jeudi avant Pâques avec une grande affluence d’acheteurs. On se parlait dans la rue, on s’embrassait sans se connaître.

J’étais là, moi, là où battait le cœur de l’histoire, et si mon cœur battait, lui aussi, c’était de joie.

C’était la vie, soigner les blessés, causer avec les amies retrouvées, d’autres jeunes filles rencontrées jadis, avec nous dans l’ambulance, de notre vie passée, alors que de nouveaux blessés arrivaient, sortir de l’ambulance, assister à un mariage (civil), danser peut-être, retourner nettoyer des blessures.
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Couverture : Les Comptes rendus
du 17 avril 1871

La figure du 17 avril :



Alors les points L, M et N sont alignés.

Contraintes suivies: