L’Académie des sciences et la Commune de Paris Michèle Audin

Michèle Audin

La Commune avait nommé Ernest Moullé commissaire administratif au Muséum. Est-il raisonnable de penser que ceci n’a pas été commenté le 8 mai dans l’antichambre ? De même que la création d’un Comité de Salut public ou que la réapparition du calendrier républicain, selon lequel nous étions en floréal an 79 ? Michel Chasles, à qui ses parents avaient donné, à sa naissance en 1793, le prénom de Floréal, rappela-t-il cette circonstance en précisant qu’il avait changé de prénom dans sa jeunesse ? Parla-t-on de Pauline Viardot, dont l’un avait entendu dire qu’elle était morte ? Un autre savait-il que le mari avait démenti cette nouvelle ? L’un mentionna peut-être que les deux ballons que les francs-maçons avaient envoyés depuis la place de l’Hôtel de Ville, mais y avait-il des francs-maçons parmi ces messieurs ? Un autre dit-il que Victor Hugo se prononçait contre la possible démolition de la colonne Vendôme, qui était toujours en sursis ? Y avait-il des académiciens qui pensaient que la colonne était un symbole de chauvinisme ? Quelqu’un avait-il lu Les deux trophées ? Les rappels répétés et insistants de la mobilisation obligatoire de tous les hommes de 19 à 40 ans touchaient-ils les académiciens ? Quel âge avait le plus jeune ? Presque cinquante ans ? Se plaignit-on de la difficulté du travail scientifique et de la raréfaction de la matière des débats pendant les séances ?
Avec Joseph Bertrand, les académiciens présents étaient vingt et un. La séance s’ouvrit, sous la présidence de Delaunay, Delaunay au fauteuil, dit-on, car il y avait un fauteuil plus haut pour le président, sous la statue de Colbert, flanqué des deux chaises des secrétaires perpétuels, Élie de Beaumont avait-il pris place à la droite du président, sous le buste de Monge, l’autre chaise restant libre ? Qui était représenté, en buste, à la gauche de Colbert ?

Le Compte rendu officiel de la séance s’ouvre sur l’annonce du décès d’un des membres :

M. Charles Robin, chargé par M. le Professeur Germain Sée d’annoncer à l’Académie, au nom de la famille de M. Longet absente de Paris, la mort de cet éminent confrère, fait part à l’Assemblée de ce douloureux événement, survenu subitement à Bordeaux le jeudi 20 avril 1871.

Charles Longet était un physiologiste, âgé de 60 ans, et Germain Sée un médecin, qui était alors à Paris et n’était certainement pas hostile à la Commune puisque le Journal Officiel, encore lui, avait publié assez longuement un de ses articles sur l’alimentation. Ses relations familiales ou professionnelles avec Longet ou avec Robin ne nous sont pas connues.
Duchartre, qui était présent, présenta une étude sur l’état de nos connaissances relativement au genre lis, publier une longue note sur les fleurs de lys à ce moment précis devait-il être considéré comme une manifestation de résistance symbolique, ou d’humour académique ? Un mathématicien, Justin Bourget, lut un mémoire sur l’influence de la résistance de l’air dans le mouvement vibratoire des corps sonores,  que l’on décida de publier intégralement malgré sa longueur, Zaliwski proposa une troisième note sur les corps flottants, qu’il aurait bien voulu mais ne put pas illustrer par une expérience dans l’antichambre, un dénommé Petit lut une note sur une nouvelle matière colorante bleue dérivée de l’ésérine (qui devient rouge sous l’action des acides), on reçut un mémoire sur l’idiométalloscopie et un autre, plutôt long, inspiré de celui sur les termes grecs qui avait tant plu à S*, sur les termes empruntés à la langue arabe, tels les sorbets en vogue chez les amiraux, envoyé par Louis-Amélie Sédillot, et pour finir, la note d’un M. Tremeschini qui avait dessiné les formes successives d’une tache solaire observée dans les premiers jours de mai à Belleville.
La séance dura jusqu’à cinq heures. Le compte rendu ne fait pas mention d’une lettre reçue, datée du 26 avril, que l’auteur, un nommé Jullien, sans nul doute un des « cinglés », joignait à

douze exemplaires de [son] dernier mémoire [qu’il] destine à ceux de Messieurs les membres de l’Académie des sciences qui, ayant la conscience pure, n’ont pas craint de rester à Paris.

Les cinglés ont parfois une conscience, pure, mais surtout aiguë de la réalité. C’est grâce à celui-ci que le mot « craint » se trouve, quelque part, dans les archives de l’Académie des sciences. Sans lui, on aurait presque pu croire que, ce printemps-là, toutes les épouses devaient être soignées à Genève, que toutes les filles devaient être accompagnées en province et qu’il fallait rendre visite d’urgence à tous les frères vivant hors de Paris. Reconnaissons qu’il avait sous-évalué le courage des académiciens, qui étaient plus de douze, qui furent, à chaque instant, plus de douze. Le mémoire en question est certainement la « chimie nouvelle », qui est mentionné dans les Comptes rendus comme reçu le 1er mai. Qui a bénéficié des douze exemplaires, nous ne le savons pas.

Alors l’enfer ce fut.
pour « tourner la page »
et accéder à la suivante
cliquer sur le début de son titre
qui apparaît à doite de l’écran

Couverture : Le Journal Officiel
du 10 avril 1871
(avec l’article de Sée)
 
La figure du 8 mai :


=[B A,B E,B C,B F]=[D A,D E,D C,D F]