L’Académie des sciences et la Commune de Paris Michèle Audin

Michèle Audin

Mais revenons à l’antichambre, dans laquelle nous pénétrons maintenant sur les pas des membres de l’Académie des sciences, ce lundi 13 mars 1871, peu avant trois heures, trois heures du soir, disait-on.

Déjà commencent les interrogations. Y eut-il besoin d’un peu de lumière ? Même s’il ne pleuvait pas, on sait que le ciel était très nuageux. Et ce jour-là, sur les tapis de la salle des pas perdus, parla-t-on du temps qu’il faisait ? L’hiver qui s’achevait avait été particulièrement rude. Comment les locaux étaient-ils chauffés ?

Parla-t-on encore des batteries prussiennes, toujours à proximité? Se souvint-on des difficultés matérielles du siège ? Même ces messieurs avaient dû se résigner au pain bis puis au pain noir. Évoqua-t-on avec un petit frisson rétrospectif le rat, l’éléphant ou l’inconnu que l’on avait mangé en janvier, à portée d’oreille des bombardements, après le cheval d’octobre (excellent) et l’âne et le mulet de novembre (exquis mais réservés aux riches)? Heureusement aucun membre de la compagnie n’avait été touché, les bombes prussiennes pourtant n’étaient pas tombées bien loin, sur le muséum même, dès les premiers jours. Lesquels avaient passé les mois du siège hors de Paris, à Bordeaux ou ailleurs ? Et, à propos, parla-t-on de l’École polytechnique, dont tous les élèves étaient à Paris, après un début d’année à Bordeaux, depuis quelques jours ? Échangea-t-on des nouvelles d’un confrère retenu prisonnier à Brême ?

Parla-t-on de politique ? Beaucoup de ces messieurs étaient conservateurs alors que Paris avait envoyé des élus républicains à l’Assemblée. Les humiliations, la proclamation au château de Versailles de l’Empire allemand, laissaient-elles déjà la place à l’inquiétude de l’agitation dans Paris ? S’étonna-t-on que « après cela » les gens du peuple se disent trahis et qu’ils fassent des choix absurdes ? L’un mentionna-t-il les barricades qui commençaient à fleurir, loin, à Montmartre, déjà devenue une forteresse ? Ou à Ménilmontant, mais savait-on bien où cela se trouvait ? S’accorda-t-on à se rassurer de la présence prussienne ? Vingt mille soldats avaient défilé en bon ordre sur les Champs-Élysées le 1er mars, l’artillerie de la Garde nationale bloquant l’accès à la place de la Concorde, la Garde nationale était surtout composée d’ouvriers parisiens, plus inquiétante, cette racaille déguisée en soldats, que les beaux vainqueurs. Le ministre Jules Favre, qui voulait en finir avec les redoutes de Montmartre et de Belleville, allait s’entendre, disait-on, avec l’autorité prussienne. L’un s’effraya-t-il du drapeau rouge réapparu ici ou là et des masses faméliques qui l’arboraient ? Un autre exprima-t-il son anxiété devant le mouvement profond qui pousse la classe ouvrière contre les bourgeois ?

Le public participait-il à ces discussions ? Car il y avait du public, dans l’antichambre. Certains de ces Messieurs les Membres de l’Académie des sciences y donnaient d’ailleurs leurs rendez-vous.



Ils devisèrent aussi de science, certainement, l’un expliquant à un autre sa démonstration d’un vieux théorème, prenez une section conique, un autre pestant contre les expressions points circulaires à l’infini, droite à l’infini, il n’y a rien à l’infini qui nous échappe absolument, mais il était déjà presque trois heures, il fallait signer la liste d’émargement.

La liste d’émargement, un tableau préparé pour la réunion par un secrétaire, car c’était un secrétaire à cette époque ? Quand les secrétaires sont-ils devenus des femmes ? Quelqu’un avait tracé des lignes droites, horizontales parallèles, parallèles verticales, perpendiculaires, indiqué le titre « Ont assisté à la séance du Lundi 13 mars 1871 MM. les Membres de l’Académie des sciences soussignés », numéroté les cases. Y avait-il une table ? Il y a aujourd’hui des tables, dit le guide moderne. Mais était-ce alors un lutrin ? Un secrétaire recueillait-il les signatures ? Signait-on avec une plume ? En 1871, utilisait-on déjà des plumes métalliques et des porte-plumes ?
Il y a souvent des taches sur les listes d’émargement, un beau gros pâté, justement, ce 13 mars. Des défraiements étaient-ils déjà prévus pour les présents, de sorte qu’il fallait signer ?
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Couverture : Le jardin des plantes est bombardé par les Prussiens,
Comptes rendus de l’Académie des sciences, 9 janvier 1871
figure : un plan qui coupe un cône le long d’une ellipse, MA

La figure du 13 mars :



Soit C une conique propre d’image non vide…