Au milieu de la nuit du 10 au 11 janvier 1995, Wolfgang Gauger, un jeune professor de l’université de Freiburg-am-Main, se leva pour boire un verre de lait, habitude nocturne contractée vers l’âge de seize ans et dont il ne voulait - ni ne souhaitait d’ailleurs - se défaire. Il parvenait d’ordinaire à se rendormir aussitôt, mais ce jour-là, parce qu’il était déjà tard, presque six heures du matin, il se refusa à regagner sa chambre et la chaleur de son lit pour si peu de temps.

Il tourna tout d’abord sans but dans l’appartement, observant de temps à autre, par la fenêtre embuée du salon, la neige fine qui tombait mollement sur la ville. Puis, il s’installa dans un vieux fauteuil au cuir craquelé couleur de pain d’épice, acheté quelques années plus tôt dans une brocante minable de Düsseldorf et auquel il s’était attaché comme à un souvenir d’enfance. Il survola un instant le journal de la veille, avant de tendre la main vers une liasse de feuilles retenues par une agrafe métallique. Il s’agissait des photocopies d’une courte nouvelle écrite par un écrivain français, Georges Perec, intitulée le Voyage d’hiver, et que lui avait apporté la veille une de ses étudiantes.

Wolfgang Gauger enseignait la littérature française contemporaine et le nom de Perec était loin de lui être inconnu, même s’il l’avait découvert tardivement. Il avait lu (en français) les Choses, admiré le tour de force de la Disparition, mais, rebuté par l’imposante masse de la Vie mode d’emploi, il avait dû attendre sa parution en allemand.

Passionné de Schubert, il avait d’abord cru que le Voyage d’hiver faisait référence à l’œuvre homonyme Winterreise, écrite en 1826 et dont les vingt-quatre lieder fondés sur des poèmes de Wilhelm Müller constituaient, à coup sûr le couronnement de l’œuvre du compositeur. “Winterreise”, que Schubert avait composé à vingt-neuf ans, était un voyage sombre et ténébreux dans les profondeurs de l’âme humaine. Certains spécialistes lisaient, dans la souffrance tragique qu’exprime chaque lied, la marque des épreuves physiques qu’infligeait au pauvre Franz la maladie vénérienne dont il devait succomber deux ans plus tard.

À la lecture du texte de Georges Perec, Wolfgang Gauger comprit toutefois vite que de Schubert, il n’était pas du tout question. En revanche, il découvrit une fiction autour d’un thème classique, certes, celui du plagiat, mais qui se développait formidablement pour tendre au mythe littéraire…

(à suivre)

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