incluant une véridique histoire des nombres «de Queneau» Michèle Audin

Je crus ce titre énigmatique, j’imaginai une relation entre le célèbre grand théorème de Fermat (vous savez bien, xn + yn = zn n’a pas de solution non triviale en nombres entiers si n vaut 3 ou plus) et les sextines (parmi mes nombreux défauts, il y a la naïveté).
Je partis à la recherche de ladite brochure et localisai rapidement un unique exemplaire… à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Plutôt que de perdre du temps en vaines et longues discussions à l’entrée de ce lieu, devant lequel, certes, je passe souvent, mais où je ne suis jamais entrée, je tentai le coup du PEB (prêt entre bibliothèques) et demandai la brochure via la bibliothèque de l’Institut de recherche mathématique avancée (de Strasbourg). Je reçus promptement (à peine une dizaine de jours plus tard), les trente-deux pages de PIP (ainsi que je décidai de l’appeler). Notez que 32 est une puissance de 2, ce qui nous met directement au cœur du sujet. Laissez-moi vous citer le début de ce texte.

Arnaud Daniel, poète provençal du xiiie siècle, a inventé un genre de composition lyrique à laquelle on donne le nom de sextine. On trouve une sextine dans les œuvres du Dante ; on en trouve plusieurs dans les œuvres de Pétrarque. Celle du Dante offre un grand intérêt, parce qu’elle forme le plan général sur lequel Pétrarque a développé toute sa poésie. Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer ces principes ; nous nous proposons seulement de faire connaître quelques propriétés mathématiques de la sextine.

Prenons par exemple celle du Dante. Pour l’écrire, le poète compose d’abord une strophe de six vers qui se terminent par les mots suivants : ombra, colli, erba, verde, pietra, donna. On change l’ordre de ces mots, de manière que le sixième soit le premier, que le premier soit le second, que l’avant-dernier arrive au troisième rang, et ainsi de suite. Cela donne l’arrangement : donna, ombra, pietra, colli, verde, erba. On fait une deuxième strophe de six vers, qui se terminent encore par ces six mots ainsi disposés. De la deuxième strophe on en déduit une troisième, en procédant envers elle comme on avait procédé envers la première. En continuant ainsi, on écrit six strophes, et le poème est fini ; si on voulait en faire une septième, on reproduirait l’arrangement primitif.

Et en voici la fin.

On trouve ainsi que 232 + 1 n’est pas divisible par 193, ni par 257, ni par 449. Mais il est divisible par 641. Ce résultat avait été obtenu par Euler, qui a utilisé pour y parvenir une marche beaucoup plus difficile. Si Fermat et Euler avaient connu le calcul des sextines, ils se seraient épargnés, dans cette question, beaucoup de peine et beaucoup de recherches infructueuses ; on voit que, par la considération des sextines, elle est accessible même à ceux qui ne connaissent que les éléments de l’arithmétique.

Et entre les deux ?

suite à droite
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