incluant une véridique histoire des nombres «de Queneau» Michèle Audin

Michèle Audin

Le 25 juin 2013, la « commission des plis cachetés » de l’Académie des sciences de Paris ouvrit, comme son nom lui enjoignait de le faire, un certain nombre (nombre que d’ailleurs j’ignore) de plis cachetés.

Laissez-moi commencer par vous rappeler (ou vous apprendre) la pratique ancienne (et un tantinet désuète) des plis cachetés. Supposons que vous fassiez une découverte que vous jugez digne d’intérêt. Vous souhaitez alors que la postérité vous attribue la maternité (ou la paternité, si vous êtes un homme) de la chose. Mais, pour une raison ou pour une autre, vous ne souhaitez pas la publier. Vous allez alors à l’Académie des sciences et vous déposez un pli (c’est à dire une lettre, un morceau de papier), que l’on cachète (à la cire, oui oui) sous vos yeux (c’est cette opération qui transforme le pli en « pli cacheté »), auquel on attribue un numéro d’ordre et que l’on conserve. Vous avez certainement noté que, au cours de cette série d’opérations, personne n’a eu connaissance du contenu de votre pli.


Même si elle semble une façon un peu aberrante de faire de la science, cette pratique a été utilisée, une fois ou l’autre, par des scientifiques sérieux. Je passe sur les bien connues inventions par Charles Cros, en 1867 de la photographie en couleurs et en 1877 du phonographe – dans ces deux cas, un brevet eût été préférable… Je citerai trois séries d’exemples :
- le jeune Gaston Julia, grièvement blessé à la guerre et au visage et qui, travaillant sur son lit d’hôpital, pouvait difficilement rédiger des articles, mit son travail de 1917 dans quatre plis cachetés ;
- l’encore plus jeune Vincent Doblin, qui était mobilisé, fit d’un de ses théorèmes de 1940 dans un pli cacheté et mourut de cette guerre-là ;
- plusieurs scientifiques juifs dont l’Académie des sciences ne voulait pas publier les résultats pendant l’Occupation les ont mis dans des plis cachetés (je connais les cas du mathématicien Paul Lévy, et celui des biologistes Ernest Kahane et Jeanne Lévy).
J’avoue qu’en dehors de ces cas particuliers je ne connais pas d’exemple sérieux de pli cacheté.
 

Bon, et que se passe-t-il ensuite ? Eh bien, le pli cacheté peut être ouvert dès que l’auteur le demande. Sinon, il doit être ouvert au bout de cent ans. Dans les exemples qui précèdent : Julia a fait ouvrir ses plis dès qu’il a eu besoin de réclamer une priorité sur un théorème, Paul Lévy, Ernest Kahane et Jeanne Lévy ont demandé l’ouverture des leurs dès la Libération et les contenus ont été publiés normalement ; le cas de Doblin fut plus délicat, puisqu’il était mort et que c’est à la demande des ayants droit que le pli a été ouvert en 2000. Normalement, si l’auteur n’a pas fait ouvrir, l’Académie ouvre, au bout de cent ans. Ou un peu plus.

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image : archives de l’Académie des sciences
Institut de France