Ils se trempent au moins jusqu’aux genoux, les arbres.

« Ne vas pas trop loin, ne t’enfonces pas dans le bayou !

Le danger se cache sous le calme de l’eau ! »

Crie la maman, jupe levée, restée au bord de l’eau.

C’est qu’elle peut s’inquiéter la maman des arbres.

Elle sait que la terre s’enfonce traîtreusement dans le bayou

Et que dans la boue mouvante il s’en passe des choses au bayou

Un monde entier de voyous rôde sous la peau douce de l’eau

Et le terrible alligator sait se coucher et se cacher en arbre.

Les cyprès du bayou sont forts en rhumatismes, ils ont

Les pieds dans l’eau, les genoux et parfois jusqu’au ventre.

Quand l’ouragan passe, il leur secoue méchant la tête.

Quand la chaleur tombe droit elle la leur brûle la même tête.

Imaginez-les alors dans leur double souffrance : ils ont

Le grand froid et le grand chaud qui se joignent dans leur ventre

Et savez-vous alors ce qui se passe dans leur ventre ?

Savez-vous bien ce que leurs pieds trempés et leur brûlée tête

Leur font ? Savez-vous bien les emmerdements qu’ils ont ?

Je vois descendre de l’avion les musiciens que l’on importe

Pour faire le jazz du Mardi Gras dans la neuve Orléans

Musiciens d’occasion juste pris pour la fête

Un quintette au moins pour chaque bistrot en fête

Prenez-en dix, prenez en mille, que nous importe

C’est cent fois plus de trombones qu’il faut à Orléans

Pour célébrer sa Majesté le Prince du mardi d’Orléans

On Louisarmstrongue à chaque porte et qu’importe

Le talent du piston et de l’hélicon pourvu qu’on ait la fête.

Il coule boueux, il roule boueux, Vieux Monsieur Rivière.

Il achemine le malheur du Nord vers le Sud

Puis il le remonte par un chemin semblable

On enferme son cours entre deux levées semblables,

Interminables. On le surveille, Vieux Monsieur Rivière,

Au cas où l’envie lui prendrait de baigner le Sud

De sa boue malheureuse. Le déjà pauvre Sud,

Mouillé par le ciel, n’a pas besoin de Vieux Monsieur Rivière

Dans ses rues, dans ses champs, dans ses quartiers sombres, semblables.

Le mauvais temps, le méchant temps qui noie les écrevisses

Le mauvais temps qui fait s’embourber les alligators

Le mauvais temps qui empêche le bon temps de rouler

Laisse revenir le soleil et la musique, laisse le bon temps rouler

Laisse bouillir la marmite d’eau claire et rougir l’écrevisse

Laisse remonter à la surface le dos ligneux des alligators

Laisse oublier les méchants jours, see you later alligator,

Laisse passer l’ouragan, brûle tes doigts à l’écrevisse,

Laisse rouler, laisse filer, let the good time roll.