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La Chapelle Sextine n’est pas un livre à mettre entre toutes les mains (gauches): une suite de «rapports», comme ils disent. Un ou deux par page, avec un joli dessin. Le deuxième personnage du couple devient le premier du suivant, et puis ça recommence avec d’autres combinaisons subtiles et compliquées, mais on s’en fiche. L’important de ce livre sans importance, c’est qu’il est lumineusement intelligent, intelligemment ironique, ironiquement tendre, tendrement lumineux.

Jacques Drillon

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Les deux auteurs affichent clairement leurs positions : soixante-dix-huit coïts, racontés en courts chapitres, avec moralité à la fin de chaque historiette : « Elle ne comprend pas un mot de ce que lui dit Ben alors qu’il la pénètre et commence son lent va-et-vient. Elle regrette d’avoir fait allemand-espagnol. » Ou encore : « Si ma vie sexuelle était révélée au grand jour, songe Niels, le monde serait saisi d’effroi. Il se doute que chacun se dit la même chose, mais cela ne le rassure pas. » Dans cette Chapelle Sextine, pleine d’alcôves et de soupirs, Le Tellier et Gorce cherchent le sacré Râle. D’Anna à Zach, les joyeux héros de ce manège érotique se mélangent la syntaxe, confondant  cumulo-nimbus et cunnilingus. Un livre réjouissant qui se lit d’une main allègre.

  Frédéric Pagès     

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Du monde froid au sexe chaud.

Tout ça manque de sexe ? Oui, alors lisez La Chapelle Sextine, d’Hervé Le Tellier, un érotique illustré par Xavier Gorce, édité par le Belge Estuaire : une série d’instantanés qui sont à la fois excitants et marrants, ce qui est rarissime. On cite un poète japonais : « Elles taisent le monde, pressées sur mes oreilles, ses cuisses. » Et la scène se termine toujours par un commentaire : « Devenu aveugle, ne pas se demander si la femme qu’il lèche est jolie ». Voilà un petit livre à offrir, en espérant un juteux merci.

Michel Polac

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Y a-t-il une liaison entre le thème d’un livre et son traitement ; y a-t-il un lien entre la matière et la manière ? Ce nouveau livre d’Hervé Le Tellier nous inclinerait à répondre par la négative. En effet, le genre érotique souffre habituellement d’attirer des auteurs de seconde zone sacrifiant la recherche littéraire à celle du frisson, le frisson du sexe ou celui de lire un livre «défendu». Sous prétexte que le thème est le sexe, tout travail littéraire disparaît au profit d’effets plus directement corporels. Les véritables œuvres littéraires érotiques sont donc extrêmement rares ; bien que les plus grands auteurs s’y soient essayés, les résultats ne sont pas à la hauteur. Même les Onze mille verges d’Apollinaire sont décevantes dans leur crudité. Seul peut-être Pierre Louÿs qui y mêle beaucoup d’humour sort-il du lot. Hervé Le Tellier le rejoint. La Chapelle Sextine prend la relation sexuelle comme matériau, certes. Mais comme matériau seulement.

Vingt-six personnages. Treize hommes et treize femmes. Le prénom de chacun débute par une lettre différente. D’où quelques milliards de combinaisons possibles dont Hervé Le Tellier nous fait grâce au profit de quelques unes choisies avec soin. Car il est membre de l’Oulipo, il cherche des systématisations, des structures afin de rendre la littérature plus rigoureuse. En l’occurrence, et comme l’indique le titre du livre, il reprend le modèle de la sextine, forme poétique qui remonte à la Renaissance où une strophe abcdef est suivie d’une autre faebdc puis cfdabe et ainsi de suite. Ici, le modèle de permutation est le même mais les personnages remplacent les rimes : un personnage sur deux change de place, renouvelant peu à peu les couples. La permutation des personnages au sein des couples présentés aboutit à un graphe présenté en dernière page, le « plafond de la chapelle Sextine ». Chacun des personnages couche d’abord avec leurs deux voisins dans l’alphabet puis avec ceux et celles à qui ils sont reliés sur ce graphe. Au final, chacun ayant couché avec 6 personnes, ce sont 78 courtes histoires correspondant aux 78 cases triangulaires du « pavement de la chapelle Sextine » qui s’offrent au lecteur. Les contraintes auxquelles s’astreint l’auteur ne sont pas gratuites. Elles contribuent à créer une cohérence au sein du livre qui, sans elles, ne serait que traversé de dizaines de personnages avec qui le lecteur, comme dans une liaison d’un soir, n’a que très peu le temps de faire connaissance.

 Mais comme le jeu de mot du titre l’indique également, le livre est surtout plein d’un humour se fondant sur le langage, jouant de lui. L’érotisme ne sert pas à exciter le lecteur mais à créer un crescendo dans le texte qui trouve sa détente dans les deux dernières lignes de chaque chapitre, imprimées en italique, où réside l’humour. Une histoire où l’auteur a employé trois ou quatre termes différents pour le sexe de la femme se termine par : « Farid songe qu’il existe cinquante mots en français pour le sexe de la femme, et encore plus pour celui de l’homme. C’est peu, à considérer qu’il y en a 366 pour le lait caillé ».

 Un livre érotique donc, mais dont des extraits ont pu être lus lors des Jeudis de l’Oulipo devant un public, certes acquis d’avance, mais qui, loin d’être choqué, a beaucoup ri. Les textes étaient alors lus par deux personnes différentes : une pour la partie écrite en romain, une autre pour celle en italique, ce qui permettait de mieux mettre en valeur la chute inattendue de chaque courte histoire. Il ne s’agit donc pas vraiment de ce que les bibliophiles appellent curiosa mais bien d’une œuvre littéraire, oulipienne, drôle et agréable à lire. Seule la lecture de ce livre dans les transports en commun peut éventuellement vous attirer des coups d’œil amusés ou pleins d’une bienséance pudibonde en raison des dessins qui accompagnent les textes…

 La collection «Carnets littéraires» de l’éditeur belge Estuaire repose en effet sur le concept d’une collaboration entre un écrivain et un illustrateur. Ici, les textes de Le Tellier sont donc accompagnés de dessins en couleur de Xavier Gorce, qui réalise un strip pour la lettre quotidienne de Lemonde.fr où Hervé Le Tellier écrit, lui, un billet, et qui avait déjà illustré les Cités de mémoires du même auteur. Eux-mêmes érotiques ou non, plus ou moins esquissés, rehaussés de couleurs vives, ces dessins dialoguent avec le texte qu’ils complètent : les deux auteurs jouent de la disposition du texte et de l’image.

 Le livre d’Hervé Le Tellier, plein de fantaisie et de rigueur, de sexe et d’humour, de variations sur un thème imposé, de références à Bataille ou à Martial, nouvel Exercices de style, mérite donc que l’on s’y intéresse, ne serait-ce que ce remarquable parallèle : « Décidément les baisers sont comme les cornichons du bocal. Quand on parvient à obtenir le premier, le reste vient tout seul. »

   Rémi Mathis     

    

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