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Un couple plongé dans une parodie de romance au burlesque délicieux.

C’est un livre pour rire – pas pour se moquer. Nuance. Une histoire d’amour d’une banalité extravagante, comme toutes les histoires d’amour… Voyez. Lui a la cinquantaine. Elle, vingt ans de moins. Il est l’amant, la belle a déjà un homme dans son lit (ou sa vie). Il sent qu’elle le trompe avec le régulier. Elle est en vacances avec sa maman en Ecosse. Il prend le risque du périple, vole à sa rencontre, et ne rencontre que des catastrophes, minimes mais déplaisantes – avion retardé, voiture de location foireuse, hôtel glacial, maîtresse itou. Il prend acte de son inaptitude à quitter son cocon, ses petits repères, à séduire encore – acte de son âge…

Hervé Le Tellier nomme son personnage « notre héros », comme s’il était un frère, un ami – un peu nous ? Elle, bien sûr, c’est « notre héroïne », une femme de tête. L’auteur n’épargne pas « notre héros ». Il l’oblige à rester transi près d’un téléphone qui jamais ne sonne. Le voilà qui vacille, prêt à lâcher quelques larmes – comme une femme ? Sans vergogne, ce farceur d’écrivain dévirilise son pauvre gars, et le rend sympathique. Le tragique ici prend des allures de burlesque. Le Tellier l’oulipien n’hésite pas interpeller le lecteur, à le faire témoin d’une débâcle annoncée. Il a construit cette parodie de roman d’amour comme un feuilleton de jadis, avec des têtes de chapitre, trois lignes qui disent déjà tout de ce qui va suivre. Pas de surprise, pas de suspense, mais un récit littéraire gouleyant qui désamorce le drame, joue avec les clichés, toutes sortes de maladresses distrayantes. Et puisque l’auteur fait de la fiction, de la vraie, insolente, il va jusqu’à consacrer en fin d’ouvrage une page de remerciements à différents sponsors qui l’ont aidé dans son entreprise romanesque (compagnies aériennes, taxis, hôtels et société informatique !). Hervé Le Tellier n’a pas quitté la France – il a écrit ce roman très attachant chez lui, en quinze jours. Pour s’amuser.

Martine Laval

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sur le blog de Pierre Assouline

Bérézina amoureuse dans les Highlands

Heureux les abonnés du Monde.fr ! Ils peuvent savourer chaque matin sur leur écran, en tête de trois pages d’informations et de liens atrocement intitulées “check-list”, un billet d’humeur à l’enseigne de “Papier de verre”. En quelques lignes inspirées de l’actualité du jour, Hervé Le Tellier réussit la prouesse de nous faire rire et sourire tout en nous édifiant sur la vie comme elle va. Son morceau rappelle par sa dense légèreté ceux de Robert Escarpit et de Bernard Chapuis il y a une trentaine d’années à la une du quotidien vespéral. M. Le Tellier est donc notre réveille-matin, en même temps qu’un linguiste, mathématicien, critique culinaire et même prof pour d’autres, toutes activités dominées et fédérées par un fort tempérament oulipien qui l’anime d’un esprit ludique dès que sous ses yeux un mot en rencontre un autre. Aujourd’hui ne voyons que l’écrivain. J’ai lu son roman Je m’attache très facilement (104 pages, 10 euros, Mille et une nuits) dans l’autobus exclusivement, allez savoir pourquoi. Le titre est emprunté à Romain Gary, l’épigraphe (”Tout ce qui est inventé est vrai“) à Flaubert, les remerciements à Glenn Carron Park Pub & Restaurant et quelques autres. C’est le récit d’une Bérézina amoureuse. Disons un héros qui ressemblerait à l’auteur (quinquagénaire lettré) ; il rejoindrait dans un coin paumé au coeur d’un pays qui pourrait être l’Ecosse l’objet de son coup de foudre qui compte bien vingt ans de moins que lui mais apprécie les hommes mûrs, tout de même ; elle ne s’y attendrait pas vraiment et la surprise ne serait pas trop de son goût ; s’ensuivraient des événements qui en auraient poussé d’autres au suicide mais pas lui. Mourir à Inchnadamph, vous n’y pensez pas, Madrid encore ou Sarajevo, mais Inchnadamph ! Il préfère dormir en travers du grand lit à l’hôtel, histoire d’amortir son investissement. Malgré tout, cette chronique d’un échec lamentable fleure bon le muguet mêlé de vanille. Et puis on y apprend contre toute attente que le plat national écossais n’est pas le haggis mais le panini, ce qui n’est pas rien et ne se trouve pas sur Wikipédia. Une douce ironie plane sur ce livre. Savoureux sans en faire trop dans la litote, la dérision, l’autodérision et le calembour. Le cocktail Mouette & Chardon est bien dosé. Ce qu’on appelle le charme. Assez rare pour être signalé et recommandé, c’est le genre de roman auquel on s’attache facilement.

Pierre Assouline

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Un court traité marrant et enlevé sur la culture de l’échec amoureux

« Il l’aime ‑ ne reculons pas devant les mots ‑ et il a conscience qu’il ne de­vrait pas. » Pourquoi rejoindre en Ecosse une jeune maîtresse (« notre héroïne ») de vingt ans plus jeune que « notre héros » ? Résumé des deux fa­çons d’avoir 50 ans : « Dans la pre­mière on se persuade que l’on est en­core jeune, dans la seconde, on se plaint d’être déjà vieux. » Notre héros dérange, c’est évident, mais quoi exac­tement ? « Il a cru qu’il partait pour sauver du navire ce qu’il était possible de sauver. Il comprend qu’il n’y a peut-­être jamais eu de navire. » Ivresse puis gueule de bois… Dans un style drolatique et avec un sens aigu de l’autodérision, voilà un court traité marrant et enlevé sur la culture de l’échec amoureux, l’art de se planter et la manière de se prendre un râteau.

Frédéric Pagès

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Ecouter l’interview sur Nocturne, l’émission de Brigitte Palchine, le 11 février 2007.

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Adorable petit roman, vif, ironique, amusant

La clé de l’énigme de cette rupture affreuse, le narrateur la désigne lui-même, et clairement, page 41 : « (..) c’est de l’instant même où elle a perçu chez lui la naissance d’un sentiment qu’elle a pris ses distances, comme effrayée. » Le coup classique. La jeune fille du XXIè siècle est malheureusement souvent comme ça. Mais l’important n’est‑il pas que ce désenchantement donne naissance à un adorable petit roman, vif, ironique, amusant, dans lequel le héros, cinquante ans, part retrouver en Ecosse sa jeune maîtresse qui ne veut plus du tout entendre parler de lui…. On a souvent envie de coller deux baffes à la petite garce. C’est dire si le roman fonctionne à merveille.

Philippe Lacoche

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Minuscule et drolatique

L’oulipien Hervé le Tellier […] auteur d’une Encyclopaedia inutilis, évoque, dans un roman minuscule et drolatique, Je m’attache très facilement, un séjour de trois jours en Ecosse : la « Berezina amoureuse » d’un quinquagénaire doté d’« un sens aigu de l’autodérision ».

Monique Pétillon

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L’attache-coeur

Il a la cinquantaine, quelques cheveux en moins, un téléphone portable, une carte Bleue et il « s’attache très facilement ». Elle a 30 ans, elle est très belle et n’a pas l’air du tout prête à s’attacher à lui. Il ne la connaît que depuis quelques semaines mais il est profondément épris. Au point de voler la rejoindre au fin fond de l’Ecosse alors qu’elle en attend un autre. Et voilà notre chevalier du XXIe siècle qui s’embarque pour une Berezina sentimentale programmée. Le livre d’Hervé Le Tellier est un joli roman d’amour manqué qui dit, avec un humour tendrement féroce, que ce ne sont ni les avions en retard ni les itinéraires trop compliqués qui font les rendez-vous ratés.

Sandra Basch

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L’amour à l’écossaise (économie de moyens)

« Notre héros » (puisque c’est sous ce nom que notre auteur dissimule son personnage) est amoureux de « notre héroïne », cela semble clair. Ce qui est aussi clair, c’est que celle-ci a pris ses distances avec celui-là, distances géographiques, physiques, sentimentales.

L’histoire est simple : un homme, menacé par la cinquantaine et la calvitie, débarque en Ecosse pour y retrouver pendant quelques jours une jeune femme qui fut sa maîtresse à Paris. Elle habite chez sa mère, attendant l’arrivée de son « régulier » (« presque un mari ») – alors que notre héros est pour ainsi dire son « irrégulier », celui qui vient la visiter en catimini. Evidemment, comme il devait le prévoir, comme il le prévoyait sans vraiment vouloir se l’avouer, c’est la solitude qui l’attend, une solitude à peine ponctuée de quelques rendez-vous avec la jeune femme, de quelques verres de bière, de quelques errances dans une Ecosse peu conforme aux clichés, de quelques bouffées de désir insatisfait. Déçu, notre héros ? Oui, mais à peine ; il faut bien qu’il reparte, après que notre héroïne l’a gratifié de gestes tendres avidement réclamés, chichement concédés (elle est écossaise, rappelons-le) et teintés de remords, ou de regrets.

La situation est pathétique, certes, mais narrée avec le recul humoristique d’un auteur qui sait ce qu’écrire veut dire – et aimer aussi, certainement. Les silhouettes des personnages passent sur le fond lumineux d’une Ecosse d’aujourd’hui, entre deux avions, entre deux autoroutes, entre les moutons paisibles, quand même toujours là. L’ironique dissection des sentiments et des situations paraît vouloir éviter le pathos, et tout compte fait le met en relief aux moments cruciaux. Avec une sensible économie de moyens, l’écriture d’Hervé Le Tellier nous rappelle comment les hommes se laissent transporter par l’amour : lucidement et follement.

Jean-Pierre Longre (juillet 2007)

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Petite garce du XXIe  siècle

Hervé Le Tellier, membre de l’Oulipo, pilier des « Papous dans la tête » de France‑Culture, dissèque la déception amoureuse. Très réussi.

Ce court roman attachant et singulier n’est rien d’autre que le récit‑constat d’une rupture amoureuse. Âgé de 50 ans, le narrateur, sur un coup de tête, décide de rejoindre sa jeune maîtresse (30 ans à peine), en Écosse. Il n’est pas vraiment attendu ni désiré, c’est le moins qu’on puisse dire. Le romancier traite cette cruelle réalité avec un détachement et un humour qui fait aussi le charme de ce livre : « Il la croise aussitôt sur la route, s’arrête face à elle. Elle terminait la côte à pied, son vélo à la main. La sueur a collé une mèche blonde sur son front perlé. Elle le voit, elle cache admirablement sa joie. »

Malgré le peu de réactions positives de l’héroïne à son endroit, le héros s’entête, s’acharne tout en gardant, c’est vrai, une bonne dose de lucidité : « Il se prend à se demander si ce n’est pas ce déni d’amour qui l’attire, qui le capture, l’entraînant vers un gouffre. L’attraction n’est‑elle pas un synonyme de gravitation, songe‑t‑il, et le trou noir, qui ne libère aucune lumière, n’attire‑t‑il pas plus encore que toutes les étoiles ? Pris par ces considérations cosmologiques, il tente parfois de l’embrasser ‑ en vain ‑ mêlant autant d’humour que possible à ses avances.»

L’humour oui, malgré tout. Malgré cette terrible déception, ce désenchantement. Le narrateur en distille tout au long des pages, comme une sorte d’antidote face au poison du désamour. Exem­ple : quand il arrive à l’hôtel, il constate : « Mais quatre étoiles pour un homme seul, c’est beaucoup moins bien que deux étoiles pour deux. ».

[…] C’est drôle, plein d’énergie, plein de souffrance aussi. On a envie de dire au narrateur : « Courage, ça va passer. »

P. L.

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