Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo

LE SPORT [ce titre se trouve dans le manuscrit]

Dans ma formation, le sport n’a jamais joué un rôle très important. Dans une certaine mesure, j’aurais aimé être plus sportif que je l’ai été, mais pas tellement plus. Il y a d’autres choses comme ça, j’aurais aimé aussi être plus musicien, etc. Je considère ma vie comme assez réussie, mais elle aurait pu être un peu mieux, j’ai perdu de temps en temps une demi-heure par-ci, une heure par-là, j’aurais tout pu faire un peu mieux.

Je distingue dans le sport, d’une part, les activités physiques – et c’est très important – d’autre part, l’aspect nerveux, action. Je me suis trouvé assez comblé par le fait que j’ai pratiqué des activités physiques qu’on appelle à peine des sports, mais qui comptent, qui sont la marche à pied et le vélo. J’étais un marcheur formidable. Les rues de Paris et les petits chemins dans les herbes sont très importants pour moi – c’est comme ça que j’ai découvert Roussel. La marche à pied m’a appris les maisons, les rues, les portes, les ruisseaux – ne serait-ce qu’un trottoir, il n’y a qu’à voir tous les pipis de chien ! il y a des œuvres d’art, on pourrait en faire des expositions. J’étais aussi un très bon cycliste, je me souviens avoir fait de très bonnes randonnées. Et puis, dans ma jeunesse, j’aimais beaucoup le football. C’est tout pour l’aspect physique. J’aurais pu faire d’autres sports, mais je n’ai pas cherché à exercer ces activités parce qu’il y en avait d’autres qui m’attiraient plus.

J’aime beaucoup l’autre aspect du sport, l’aspect action. Je l’ai trouvé dans le football par exemple : l’événement est là, il faut réfléchir vite et bien, analyser, faire un plan, déduire et agir. Pendant ce temps-là, le ballon est en l’air, il s’agit de réfléchir avant qu’il arrive dans l’autre main [sic]. Ça, ça me plaisait beaucoup. Autrement dit, c’est une école d’action, et que j’aime beaucoup mieux que la guerre parce qu’on ne fait de mal à personne. On peut très bien être très viril, très actif, sans faire de mal aux autres – admirer les paras est non seulement répugnant, mais même bête. Cet aspect action a toujours eu beaucoup d’importance pour moi dans la vie.

Et puis, il y a quelque chose d’artistique dans le sport, la sensation pour le plaisir de la sensation, pas seulement le plaisir de l’épanouissement physique. Il peut y avoir des sensations extraordinaires. Il y en a deux que je regrette de ne pas avoir eues : ne pas avoir fait de spéléologie – j’ai toujours regretté de ne pas m’être plongé dans le mystère, dans la nuit. Il y a tout un aspect de danger et de fantastique que j’aurais beaucoup aimé. Ça aurait ajouté quelque chose à mon éventail de disparate, je crois que j’aurais été un peu plus – et ne pas avoir fait de ski, ou plus exactement de saut à ski. Etre en l’air pendant longtemps. C’est une sorte de vertige que j’aurais aimé connaitre. Dans ces deux sports, spéléologie et saut à ski, ce ne sont pas les aspects culte du corps ou épanouissement physique que je regrette, mais recherche de sensations merveilleuses. Les autres ne m’intéressent pas du tout. Je n’aime pas du tout la boxe, je n’aime pas recevoir des coups et je n’aime pas en donner. Il y a d’autres sports intéressants, les sports d’adresse.

Je n’aime pas du tout les sports de compétition quand ça mène les gens à se détester les uns les autres. Je sais m’indigner, mais pas sous cette forme, c’est pourquoi je n’aime pas les matchs d’échecs. J’y suis très opposé, et je l’ai écrit – c’est pourquoi je ne suis pas très bien vu des joueurs d’échecs. Songez que Alékine et Capablanca, lors de leur match de 1927 ne se sont pas adressé la parole une seule fois pendant tout un mois ! Et Fischer et Spassky ! Fischer s’est conduit d’une manière odieuse. Une des raisons qui ont fait que Spassky n’a pas tenu contre Fischer – il lui était peut-être légèrement inférieur, mais pas beaucoup – c’est qu’il ne peut pas détester ses adversaires. Petrossian non plus. Ce sont de bons vivants.

Voilà pour le sport. Je n’ai pas grand chose à en dire, il n’a pas joué un grand rôle dans ma vie.

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Spassky-Fischer


Il est question du célèbre match de championnat du monde de 1972, qui était encore certainement très présent dans les esprits et qui a opposé, en pleine guerre froide, le Soviétique Boris Spassky, champion en titre, et l’Américain Bobby Fischer. Ce dernier avait formulé des exigences sur le lieu, les finances, etc. qui ont fait de la préparation une véritable course d’obstacles. MA