Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo

J’ai commencé très tôt mon contact avec la musique ; je ne dirais pas que j’ai commencé très tôt mon contact avec les joies de la musique. C’est une chose très différente.


Je suis d’une famille en partie musicienne puisque ma mère était une artiste. Dans mon enfance, elle avait un très bel appartement avenue Matignon où il y avait deux beaux pianos à queue.


C’est dans ce milieu que j’ai appris le piano. J’ai commencé extrêmement tôt, avant les mathématiques, quand j’avais trois ans. Mes doigts n’étaient peut-être pas très bien formés encore. Il y avait entre ma mère et moi des liens d’affection très profonds – ce qui est assez naturel – elle se conduisait vraiment comme un ange avec moi, sauf au moment des leçons de piano où elle devenait un démon. Vers ma cinquième ou sixième année, j’avais trois heures de piano tous les jours : une heure de gammes (au bout d’un an qu’on a fait une heure de gammes tous les jours, on a l’impression qu’on pourrait s’en dispenser, ce n’était pas son avis), une heure d’exercices et une heure d’œuvres. Je faisais les gammes avec des pièces de monnaie posées sur les phalanges : il ne fallait pas qu’elles tombent. Dans l’enseignement du piano, je suis arrivé à une époque beaucoup moins barbare car dans l’époque précédente, il y avait des espèces d’appareils qui vous tenaient les doigts. C’était vraiment la torture. Là, c’était simplement une préoccupation.


J’étais donc arrivé à très bien jouer du piano quand ma mère est morte. Ça a été pour moi un très, très grand traumatisme. J’avais onze ans. On m’a mis à ce moment-là au collège de Melun. On a absolument tenu à me donner un professeur de piano mais je n’en voulais pas. Je ne voulais que ma mère comme professeur de piano (je n’ai jamais plus touché un instrument depuis. Jamais.) et, de toute façon, je jouais mieux que lui. On pouvait me donner n’importe quelle sonate de Beethoven, je la jouais après y avoir jeté un coup d’œil, et correctement.


Mais tout cela n’est pas un contact tellement propice à me faire aimer la musique, je n’aimais pas tellement ce que je jouais. Je jouais bien, mais je n’aimais pas tellement. Je me donnais l’impression de l’aimer parce que j’aimais tout ce que ma mère aimait, j’admirais tout ce qu’elle faisait, mais c’est après que je me suis rendu compte de ce qu’était la musique. Par exemple, ma mère me faisait jouer les musiciens du l8ème qu’elle aimait beaucoup, ce qui était beaucoup plus rare à cette époque-là que maintenant.


J’ai rencontré beaucoup de musiciens, et quelquefois de grands musiciens, qui fréquentaient le salon de ma mère.


Elle a donné quelques concerts salle Gaveau. Je me souviens de deux d’entre eux : Saint-Saëns et Gabriel Fauré. Saint-Saëns était à ce moment-là un très, très vieux monsieur qui avait peut-être soixante ans. Je ne pouvais pas imaginer plus vieux que ce vieux monsieur. Fauré avait à peu près le même âge, et j’ai eu une espèce de sentiment de la relativité des âges : l’un était très sympathique à cause de son âge et l’autre très antipathique à cause de son âge. L’un ne croyait à rien, était désabusé, n’aimait pas les jeunes et l’autre pouvait très bien s’entendre avec eux. Ils avaient cependant le même âge. C’était Saint-Saëns qui me déplaisait beaucoup alors que Fauré avait un genre un peu grand-père – je dois dire que j’avais une très grande admiration pour mon grand-père maternel. De toute ma famille, c’est l’homme que j’ai le plus aimé, plus que ma mère, ce qui n’était pas peu dire. Je n’ai jamais connu mes grands-parents paternels, ils étaient morts avant ma naissance. Je me souviens très bien de Fauré, par exemple, venant à une soirée donnée par ma mère avenue de Matignon, sortant un petit papier de sa poche et disant à ma mère : “Ma chère Marie, voilà ce que j’ai écrit il y a quelques jours, je ne l’ai pas encore entendu, j’aimerais bien que tu me le joues.” Ma mère le prenait, y jetait un petit coup d’oeil, le mettait sur son piano et le jouait immédiatement dans le style fauréen – enfin, je l’imagine.


En tout cas, ça faisait plaisir à Fauré. Et puis, il y avait des tas d’autres artistes de toute sorte entraînés par Felia Litvinne, dont mon parrain Victor Gilles. De tout cela, je ne retire pas de souvenir musical intéressant. On m’amenait quelquefois à des concerts, et ces concerts me barbaient. Il y en avait eu un où on avait donné la sonate pour piano et violon de Fauré. Or, comme j’avais vu Fauré chez ma mère, je voulais me forcer à l’admirer. Mais je ne l’admirais pas. J’ai retrouvé cette sonate pour piano et violon toute ma vie.


A partir d’un certain moment, j’ai cessé de toucher à un instrument de musique, et notamment à un piano, mais je n’ai pas cessé une certaine éducation musicale. J’ai appris de l’harmonie, du contrepoint en amateur, mais en bon amateur. Je pouvais donc, et je peux toujours – suivre une œuvre avec une partition, l’analyser un peu et la comprendre.


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Camille Saint-Saëns et Gabriel Fauré


Camille Saint-Saëns est né en 1835 (et mort en 1921). En 1910, disons, il avait donc 75 ans plutôt que 60.
Gabriel Fauré avait dix ans de moins, 65 donc. MA

la sonate pour piano et violon de Fauré


De Gabriel Fauré, on connaît 2 sonates pour violon et piano. La première, op.13, composée en 1875 ; la seconde, op.108, composée en 1916. On peut supposer que FLL fait ici référence à la première, en la majeur.