La bibliothèque nationale de France, qui nous fait l’honneur de nous accueillir, est un monument si impressionnant, si monumental dans l’espace & plus encore dans le temps, que j’ai résolu de la mettre avion. Vous savez, je pense, que les avions sont de deux sortes : il y a ceux où l’on emmène ses bagages, quand on part en vacances ou à l’étranger, et puis il y a ceux que l’on utilise pour raccourcir les textes quand ils menacent d’être trop longs. L’avion, s’il est mental, est en effet l’abréviation du mot abréviation. Il suffit de faire tomber du mot abréviation, manifestement beaucoup trop long, les lettres  b r é  puis  a t i  pour obtenir un avion. Selon le même processus, la bibliothèque nationale de France devient BnF, qui est un sigle. D’où la règle : tous les sigles sont des avions, mais tous les avions ne sont pas des sigles.

Quoiqu’il en soit, l’avion, en lecture, ne peut que se traduire par un gain de temps, ce qui est précieux. J’ai donc résolu de mettre tout ce que je pourrai de littérature en avion, et bien entendu je me suis fait une fête de commencer par l’oulipo, dont les œuvres, comme vous savez, sont en général beaucoup trop longues. Mais pour ce soir, j’ai décidé de raccourcir les personnes, vu qu’il serait injuste, n’est-ce pas, de raccourcir les œuvres sans raccourcir les personnes qui les ont produites. Raccourcir les personnes est d’ailleurs un jeu plutôt intéressant, car on s’aperçoit, chemin faisant que certaines personnes en contiennent d’autres, et réciproquement. En effet, nous sommes tous des poupées russes immigrées.

Pour ce qui concerne l’oulipo, je commencerai, bien sûr, par Queneau.

Les avions de Queneau sont relativement peu nombreux, et brefs ; en énonçant : que, un, une, eau, ne, nu, on en a fait le tour, je crois ; mais du fait qu’ils sont si brefs, ils génèrent un nombre considérable d’aéroports, ce qui n’est certes pas pour nous surprendre de la part de Queneau, grand générateur s’il en est de phénomènes de groupes. Un seul exemple donnera une idée de l’immensité de leur nombre : non seulement des noms comme cosaque, Marquet, Armorique, etc., etc., sont des aéroports de l’avion initial, QUE, de Queneau, mais même des noms comme Quaker, ou quartier latin, ou encore Quimper ou Quintilien (dans lesquels le E est situé loin du QU qu’il doit rejoindre pour former un avion) sont, avec beaucoup d’autres, des aéroports de l’avion QUE de Queneau, & de même pour les autres avions, par exemple pour le UN de Queneau, les aéroports sont si nombreux qu’on en remplirait des paniers entiers à n’en plus finir, si on voulait les cueillir tous.

Pour faire plus court, j’en ai retenu deux qui me paraissent pour différentes raisons, un peu plus remarquables que les autres, il s’agit de Burnouf, & Lebrun. Burnouf Jean-Louis, philologue français, 1775-1844, né en Normandie & mort à Paris, me paraît remarquable avant tout parce qu’il est non seulement un aéroport de l’avion UN de Queneau, mais surtout parce qu’il abrite rien de moins que l’avion de Bibliothèque nationale de France, la BnF déjà nommée. Et ce n’est certes pas un mince titre de gloire que d’être l’aéroport de BnF. De plus Burnouf Jean-Louis a engendré un fils, Burnouf Eugène, orientaliste français 1801-1852, et l’on ne peut que s’incliner devant ce phénomène de succession qui produit deux savants de même nom étant aéroports à la fois de l’avion UN de Queneau et de l’avion de la Bibliothèque nationale de France.

Le cas du peintre Lebrun est un peu différent. D’abord parce que le peintre Lebrun, étant un peintre du 17ème siècle (1619-1690 très exactement) est seulement l’aéroport de l’ancien nom, BN, de celle où nous sommes présentement. Et puis, parce que l’avion UN de Queneau y apparaît d’emblée, à l’oreille comme à l’œil, ce qui n’est pas le cas de l’avion UN de Queneau lui-même. De plus, au lieu de partir directement vers BnF, Lebrun en un seul mot ou en deux, comme vous voudrez, le brun, s’attarde & flâne & drague toutes sortes d’idées diverses. Ce qui fait que le brun pourrait être tout aussi bien la couleur brune, & qui dit brune, à Paris, pense forcément boulevard, d’où surgissent aussitôt les avions : boule, bar & lard, l a r d. Envolons-nous sur Bar, avion très rapide susceptible d’atterrir sur de multiples aéroports, sur Baudelaire, par exemple, vaste surface, qui accueille des avions communs comme ‘dire’, ‘l’air’, & ‘au-delà’, & de plus des avions propres comme Bade, ancien état allemand, ou Budé (Guillaume) le célébrissime helléniste, qui porte la double casquette d’avion propre de Baudelaire & d’aéroport de bu, petit avion de transport commun susceptible de se poser sur un grand nombre d’aéroports, et notamment sur l’aéroport Benabou, dont un autre avion est Abo.

Abo est un avion exclusivement suédois, car il désigne en suédois une ville de Finlande qui est aussi un port, ville & port que partout ailleurs qu’en Suède on appelle Turku. Fondé au 13ème siècle, Turku fut le siège d’un archevêché, si bien que ce que l’on a appelé la paix de Turku, 1743, consacra le partage de la Finlande entre la Suède & la Russie. Et néanmoins Turku devint capitale de la Finlande quand la Finlande devint un grand-duché, ce qui se produit de 1808 à 1812, après quoi tout fout le camp & en 1827 Turku est détruite presque entièrement par un incendie.

N’empêche que cette localité dénommée Abo en suédois reste pour toujours un avion de Benabou, qui par ailleurs en tant qu’aéroport accueille les avions a, en, bu, nu, & ou. Roubaud, qui n’a pas autant d’avions, car, comme aéroport, il est moins spacieux que Benabou, (tout en ayant un nombre égal de lettres, cependant, c’est une vérité triste mais sûre, que certaines lettres sont plus égales que d’autres) Roubaud, donc, a au moins en commun avec Benabou l’avion OU. Mais par ailleurs, l’aéroport Roubaud, mis à part ru, qui est un petit ruisseau, n’accueille guère, comme avion, que Baud, B a u d, chef-lieu de canton du Morbihan, arrondissement de Pontivy, 4813 hab. qui s’appellent les Baldiviens, habitants qui ont donc pour avion vin, divin & bal. On remarque aux environs les restes du château de Quiniply et la chapelle saint Adrien au sud de Baud.

Si j’ai détaillé ce décor, c’est pour montrer qu’une phrase peut aussi servir d’aéroport, pour des avions qui sont alors extrêmement distendus. C’est le cas, ici, pour l’avion Queneau qui surplombe cette phrase, mais le malheureux Queneau est horriblement écartelé, car il commence à Quiniply & se termine à ‘au’ de ‘Baud’, plusieurs lettres de son nom étant reproduites en double ou triple ou parfois encore plus d’éxemplaires. On peut lire en effet : Q u e e e e n a u u e a u. C’est qu’il n’est pas facile de faire des avions sur des aéroports aussi longs, et le graphiste s’est quelque peu emmêlé les pinceaux.

Mais pour en revenir à Roubaud considéré comme un aéroport, on aperçoit, traîtreusement abrité derrière le O & le A, un Ubu indiscutablement posé là, & tout aussi indiscutablement déplacé. C’est que cet Ubu est, en avion, un personnage redoutablement répandu, sur toutes sortes de noms même parmi les plus respectables, comme Aubusson & Auberchicourt, qui est une paisible commune du Nord, code postal 59 165, pour 4 556 hab. qui s’appellent les Auberchicourtois, c’est tout dire. D’ailleurs un autre avion des Auberchicourtois & même d’Auberchicourt tout court, c’est CHOU en lai ou de Bruxelles, qui se retrouve sur de très très nombreux aéroports, & jusque sur Schopenhauer, ce qui paraît proprement inimaginable et qui est pourtant vrai.

De plus, comme Schopenhauer est allemand, il a un avion allemand, qui s’appelle schoen, qui veut dire ‘beau’ en allemand, et qui, parallèlement, est l’aéroport de SON, petit avion de transport en commun très bien reçu par beaucoup d’aéroports, l’un d’entre eux particulièrement brillant, puisqu’il s’agit de l’aéroport Salon, Olivier, ou de Provence, l’un & l’autre Salon étant également les avions de Salonique, ville qui a notamment deux avions, lie, l i e, & sale, qui atterrissent tous deux conjointement sur Staline, qui ne l’a sans doute pas volé. Lequel Staline est né, chacun le sait, à Gori, ville de Géorgie, 59.000 hab. en 1985. Or Gori est non seulement l’avion de Géorgie, mais par ailleurs, l’avion de Gordien, nom de trois empereurs romains du Bas Empire, tous trois morts subitement dans des circonstances affligeantes, Gordien III, pourtant surnommé le pieux, ayant trouvé le moyen, avant de mourir, d’assassiner son prédécesseur, un certain Balbin, dont l’avion, BAL, nous ramène aux Balviniens, habitants de Baud, avion de Roubaud qui, je m’en ressouviens à l’instant, a pour avion OU, qu’il partage non seulement avec Benabou, mais aussi avec Jouet.

En effet, Jouet est un aéroport de petite dimension, mais remarquablement constitué, puisqu’on y trouve un nombre d’avions relativement impressionnant : outre les deux conjonctions de coordination OU + ET, on peut lire dans Jouet, JOUE, j o u e, avec son double sens de partie du visage & du fait de s’amuser, mais de plus on y trouve encore un autre mot à double sens & à double prononciation, JET & DJETT. Et ce n’est encore pas tout car on trouve aussi, dans ce nom de JOUET l’avion JE j e, qui est à l’usage de l’humanité tout entière, particularité à mes yeux très admirable ; et puis pour clore ce très bel ensemble d’avions, le registre musical est introduit par la présence de l’avion UT, première note de la gamme.

Qu’avec tous ces avantages l’aéroport JOUET soit aussi un avion n’est pas pour surprendre, car c’est là un caractère qu’il partage avec tous les aéroports de petite taille. L’aéroport JOUET est donc aussi l’avion de JOUBERT. Le petit Robert des noms propres, qui fait partie de mes outils de travail, mentionne trois Joubert : Joseph, moraliste français, 1734-1824, Barthélemy Catherine, général français, 1769-1799, vis-à-vis de qui je ne peux me défendre d’une tendresse certaine, car il a été au départ l’un des simples soldats, engagés volontaires, qui ont remporté la bataille de Valmy pour aller porter à toutes les nations les lumières de leur Révolution, seule, à ma connaissance, de toute l’Histoire, qui ait été faite pour tous les peuples & non pas pour un seul. Ce qui n’est pas un mince titre de gloire. Le troisième Joubert, Petrus Jacobus, est aussi un général mais boer, d’Afrique du Sud, 1831-1900. Jacques, quelque chose me dit que tu préfèreras les deux premiers, quand il s’agira d’atterrir.

Mais Joubert, premier, deuxième ou troisième, est aussi l’aéroport de Bert, Paul, physiologiste & homme politique, qui nous sera utile, comme avion, pour atterrir sur l’aéroport BERGSTRASSE, mot allemand qui signifie « route de montagne », mais qui désigne une région d’Allemagne, dans la plaine du Rhin, région & aéroport où nous découvrons l’avion Berge, mathématicien & oulipien qui nous emmène, après les très cordiales salutations d’usage, sur l’aéroport de Bergen, ville du sud ouest de la Norvège, où nous prenons aussitôt l’avion Ben, artiste français d’origine suisse né en 1935, qui nous permet d’arriver enfin à Bens, Jacques, écrivain, oulipien, aéroport de Ben & avion de Benserade, Isaac de Benserade, poète français, 1612-1691, bien reçu à l’hôtel de Rambouillet, très réputé en son temps pour les livrets de ballets qu’il écrivit pour les fêtes données par Louis XIII & Louis XIV, mais dont la popularité chuta quand il prétendit ravir le public par sa traduction en rondeaux des Métamorphoses d’Ovide. Cependant Benserade nous intéresse, nous autres oulipiens, pour des raisons, certes, d’ordre littéraire, mais aussi parce que l’un de ses avions, RADE, est susceptible d’atterrir aussi sur l’aéroport Caradec, qui en possède évidemment quelques autres, notamment CRAC, RA dieu égyptien du soleil et créateur des autres dieux, ARC qui est un fort bel avion et last but not least CAR, que j’ai gardé soigneusement pour la fin, car, c’est le cas de le dire, CAR avion de Caradec est aussi l’avion de Cartellier, suivez mon regard, il s’agit d’un orfèvre, ornemaniste & sculpteur français, 1757-1831, qui présente surtout pour nous ce soir l’intérêt évident de détenir sur l’aéroport qu’il est en réalité, un avion d’Hervé LE TELLIER.

Ici il convient de marquer une courte pause pour méditer sur les caprices du sort et de la langue, qui font que Jouet, aéroport de seulement cinq lettres, détient plus d’une demi-douzaine d’avions, tandis que pour Le Tellier, avec ses neuf lettres, oh, on trouve bien Guillaume Tell, évidemment, qui vaut peut-être un peu mieux qu’UBU, mais ce n’est même pas sûr. Et comme le dernier E, de Tellier, a été placé trop tôt, on ne peut même pas trouver l’avion LIRE, seulement l’avion LIER. Ne t’en fais pas, Hervé, tu n’es pas seul dans la misère avionesque, dans mon nom, Grangaud, qui compte pourtant huit lettres, tout ce que je trouve, c’est GANG, GAGA & GAG. Mais je me trompe en disant que c’est tout ce que l’on peut y trouver, il y a aussi la ville de Gand, ce qui n’est pas mal & qui me console. Toi, pour te consoler, tu as dans ton nom : ELLE, et ça, c’est sûr, ça ne doit pas te déplaire. D’autant plus que ‘ELLE’ est aussi l’avion de Bellonte. Maurice, 1896-1984, qui possède d’assez nombreux avions, c’est normal, bien sûr, pour un aviateur, surtout célèbre, il a donc pour avions propres, Bell, Bellot, le Lot, département français & Elne, chef-lieu de canton des Pyrénées-Orientales & comme avion de transport commun, il a ET + ON.

ON est l’avion de Fournel, Paul, actuel & brillant président de l’Oulipo, qui ce soir malheureusement brille surtout par son absence, car il est aux Etats-Unis.

Il y a plus long à dire sur Fournel, mais je sens que le temps nous presse, vais devoir m’arrêter, alors que je n’ai pas parlé de tous, bien loin de là ; je complèterai dans une autre occasion. Mais auparavant je veux souligner un dernier avion que je trouve particulièrement intéressant : c’est celui de Beaudouin, Valérie Beaudouin étant l’une des plus jeunes & plus récentes recrues de l’Oulipo. Il se trouve qu’un avion de Beaudouin, c’est OUI, et c’est aussi un avion de notre sigle : Oulipo. OUI, c’est vraiment le mot de la fin. Mais je voudrais rajouter, comme en post-sciptum, les noms des oulipiens que je n’ai pas pu nommer ici, faute de temps, avec les avions afférents à leur nom.

Soit donc : Arnaud, avion NU, Blavier avion VIE, Braffort avion FORT, Calvino avion VIN, Cerquiglini avion QUI, Chambers avion ÂME, Chapman avion CAP comme le Captain d’Alphonse Allais, Duchamp avion CHAMP, Duchateau avion DUC, Étienne avion TIEN, Forte avion FOR comme for intérieur, Garréta avion, Anne, désolée mais comme avion je ne trouve que GARE ou ARRÊT, Latis avion LAIS, Le Lionnais avion NAIS, Lescure avion LEUR, Mathews avion MATHS, Métail avion MIL (le grain), Monk avion MON mais il faut signaler en outre que la monkine, nouvelle forme poétique, est un avion de Monk inventé par Monk, Pastior avion PAS, Perec avion ÈRE, Queval avion VAL, Rosenstiehl avion SENS, & Schmidt avion SI à la fois conjonction & note de musique.